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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 1er novembre 2001

Trois façons de se discréditer

Pendant que la rhétorique belliqueuse des États-Unis n'en finit plus d'ajuster le tir, les Palestiniens continuent de protester contre l'occupation de leur territoire par l'armée israélienne et d'être traités et tués comme si résistance valait terrorisme. Et trois hommes, outre les gouvernants américains, contribuent, soit par un silence coupable, soit par une mauvaise lecture de la réalité, à perpétuer l'infâmie et à l'occulter : Shimon Peres, Kofi Annan et John Manley.

Il y a déjà longtemps que le ministre israélien Shimon Peres a épuisé le capital de crédibilité qu'avait pu lui valoir un prix Nobel de la paix. Il en avait d'ailleurs dilapidé les dernières bribes en se joignant contre toute logique au cabinet d'Ariel Sharon. Depuis lors, il donne presque quotidiennement de nouvelles preuves des ratés de sa logique, pour ne rien dire de son manque de courage. S'il lui arrive encore de se dire ennuyé par les crimes imputables à Ariel Sharon, il compense aussitôt en tenant Yasser Arafat responsable de la violence et en justifiant les excès israéliens. Plus personne n'est capable de respecter un homme qui, à un âge où le détachement est censé venir aux humains, semble plus attaché à un rôle de larbin galonné qu'aux principes dont il se targuait.

Il ne reste à Shimon Peres qu'une façon, terriblement tardive et presque symbolique, de se dissocier d'Ariel Sharon et d'une armée digne des pays totalitaires : la démission. Cela ne le dispensera pas, devant l'histoire, d'assumer sa part de responsabilité dans les exactions des colons israéliens, dans les assassinats ciblés et dans une pratique hypocrite et systématique de la torture.

De Kofi Annan, qui a rejoint sur la tablette des prix Nobel douteux Henry Kissinger et Shimon Peres, il serait irréaliste d'attendre une démission. Il vient d'obtenir un renouvellement de mandat qui sonne comme un triste aveu d'impuissance, peut-être même comme un serment de servilité. De temps à autre, au hasard des tribunes, il continuera de faire l'éloge de la paix et de déplorer la violence; de façon constante, il persistera à renvoyer dos à dos les tueurs à gages en uniforme et les victimes. Il avalisera les débordements américains, confinera l'ONU à des rôles de reconstruction au lieu de la faire agir avant les bombardements, se réservant de regretter après coup la myopie de la communauté internationale, comme il l'a fait à propos du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie.

Certes, Kofi Annan n'a pas les moyens de jouer les matamores face à l'empire américain. Entre une virulence suicidaire et les molles bénédictions, il y a cependant place pour la protestation lucide et ferme. Qu'un secrétaire général de l'ONU n'exprime que des doutes frileux quand Israël bafoue méthodiquement toutes les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme, cela discrédite et condamne l'individu. À ne jamais dénoncer clairement les indignités quand tel est le rôle attendu, on en devient forcément complice. Une intervention courageuse de Kofi Annan est d'autant plus nécessaire que les médias, concentrés sur la crise afghane et alimentés par l'efficace propagande israélienne, banalisent sans même s'en rendre compte les morts palestiniennes et les crimes de guerre du cabinet Sharon et de son armée. Pour ne retenir qu'un exemple, on en est encore, jusque dans les médias les plus avertis, à décrire comme une opération de représailles l'intrusion de l'armée israélienne dans les territoires palestiniens et les dizaines de cadavres qu'elle laisse dans son sillage. On semble, conditionnement aidant, ne plus savoir que l'assassinat d'un ministre israélien était lui-même, bien qu'inadmissible, la réponse à l'assassinat d'un leader palestinien au moyen d'un missile infiniment précis. Dans ce sinistre carambolage des représailles répliquant aux représailles, ce ne sont certes pas les Palestiniens, même par leurs groupuscules les plus extrémistes, qui ont recouru les premiers aux assassinats ciblés et enclenché la vendetta. Les médias ne semblent pas le savoir. Kofi Annan non plus.

Pendant ce temps, John Manley, ministre canadien des Affaires étrangères, tient dans une série de capitales du Proche-Orient des propos qui, j'aime à le croire, ne ressemblent ni de près ni de loin à ce que pensent les Canadiens. M. Manley applique, en outre, une politique qui ne correspond ni à l'équité ni au vouloir populaire. Déjà, M. Manley avait brillé par son absence à la conférence de Durban sur le racisme; d'après lui, c'est à tort qu'on accusait Israël de juger les Palestiniens comme une race inférieure. Voici, pour bien manifester qu'il ne s'agissait pas d'une distraction, que M. Manley intervient auprès de dirigeants arabes pour qu'ils freinent la violence des Palestiniens, celle d'Israël étant, semble-t-il, aussi acceptable qu'une légitime défense. Les gestes et propos de M. Manley ne concordent certes pas avec ce que souhaiterait le citoyen canadien le moindrement renseigné.

La politique appliquée par M. Manley en ce qui touche à l'Afghanistan n'est pas davantage cohérente ou respectable. Pour que la Chambre des communes, à la suggestion du Bloc québécois, envisage, en ces temps redevenus difficiles, d'accroître l'aide canadienne aux réfugiés afghans, il faut, en effet, que cette aide se soit d'abord caractérisée de la façon la plus manifeste par la mesquinerie et la dureté de coeur. Si la contribution canadienne n'était pas honteusement insuffisante, jamais la Chambre des communes ne se serait penchée sur une demande du Bloc québécois. M. Manley ne semble pas en avoir encore pleinement pris conscience. Alors même qu'il modifiait - sans les chiffrer - les sanctions économiques imposées au Pakistan à l'occasion de ses essais nucléaires et qu'il se joignait à sa collègue du Développement international pour effacer une ardoise pakistanaise de 447 millions dus à l'ACDI, c'est un méprisable 12 millions que le Canada consentait d'abord en aide aux réfugiés afghans. Et voilà que M. Manley et ses collègues bombent le torse en portant ce montant à un glorieux 16 millions! Pas plus que le ridicule, l'indécence n'est mortelle. Sans doute M. Manley, dans son empressement à dorloter Islamabad, a-t-il omis de lire le classement des pays selon le critère de la corruption dont Jean-Pierre Cloutier faisait état.

Trois hommes, trois inadéquations. Et des centaines de morts et des millions de réfugiés.

RÉFÉRENCES :

Déclaration universelle des droits de l'homme (Adopté le 10 décembre 1948)

Manley to Israel: Now N. America understands fear, The Ottawa Citizen, 1er novembre 2001

Maria Minna fait le point sur l'aide canadienne fournie immédiatement aux réfugiés afghans (Communiqué de l'Agence canadienne de développement international, 29 octobre 2001)

Combien nous coûtera le Pakistan?, Les Chroniques de Cybérie, 23 octobre 2001)

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