Dixit Laurent Laplante, édition du 24 septembre 2001

Comment lutter contre le terrorisme?
par Laurent Laplante

Même si l'opinion américaine se montre satisfaite de George W. Bush, on ne peut que s'étonner du simplisme de son argumentation et de sa stratégie. Cela ne serait qu'un thème de caricature si l'homme politique n'avait pas le pouvoir d'entraîner la planète dans un tourbillon meurtrier et d'ancrer l'humanité dans les pires préjugés. Heureusement, Bush se trompe quand il prétend que tous doivent se ranger ou de son côté ou dans le camp des terroristes. Encore faut-il, si l'on veut s'engager dans une troisième voie, se prémunir contre la rhétorique américaine malgré le soutien que lui apportent les gouvernants canadiens et nombre de médias.

Qu'un certain fondamentalisme islamique soit capable d'excès, la preuve n'en est plus à faire. Qu'il puisse fanatiser des masses et diaboliser les différences, cela aussi est observable. Qu'il réserve aux femmes certaines de ses pires outrances, cela non plus n'est pas douteux. Il n'a même pas besoin, pour répandre son intolérance, d'être agressé; il lui suffit parfois de rêver d'une domination mondiale. Soit. N'en déduisons pas qu'il est légitime de lui opposer un autre fondamentalisme et de ne traiter avec lui que par la force. Quand le président Bush verse dans ce travers, il révèle, autant et plus que dans son vocabulaire de cow-boy mal dégrossi, son simplisme dangereux et sa coupable myopie.

Car il y a simplisme et myopie quand le président Bush se croit investi de la mission de défendre la liberté, la civilisation, le bien. Il y a simplisme et myopie quand les États-Unis se dispensent de prouver la culpabilité de ben Laden et sautent immédiatement à l'étape de son exécution. Il y a simplisme et myopie quand les États-Unis renouent instinctivement avec leur arrogante exigence du conflit 1939-1945 : reddition sans conditions. Ils avaient alors justifié leur recours barbare aux bombes atomiques en affirmant qu'elles avaient écourté la guerre et donc épargné des vies. L'histoire a révélé ensuite les limites de cette affirmation : le Japon était prêt, à certaines conditions, à capituler. Les États-Unis s'en étaient tenus à leur slogan manichéen : reddition sans conditions. Selon leur jugement de l'époque et celui qu'ils rendent aujourd'hui à propos des taliban, il n'est de victoire que si l'adversaire est anéanti. La victoire est pourtant moins sanglante et plus civilisée quand elle laisse sa place à la négociation dès que celle-ci s'offre à épargner des vies; elle se dégrade quand elle mise tout sur la force et exige l'écrasement de l'adversaire. Accorder à ben Laden la présomption d'innocence dont jouit le plus humble citoyen américain, explorer la possibilité d'une intervention judiciaire neutre et sereine, présenter la preuve rassemblée contre le présumé terroriste, voilà qui nous éloignerait du simplisme et de la myopie. Voilà qui montrerait que les États-Unis, même blessés, entendent demeurer fidèles aux exigences de la justice. C'est par leur renonciation au lynchage que les Américains ont progressé dans la voie de la civilisation; ce n'est pas en présumant péremptoirement la culpabilité de ben Laden et en se refusant à toute négociation qu'ils feront progresser la liberté, la décence, la justice.

Il y a simplisme et myopie quand les certitudes s'imposent avant l'examen et que le doute qui fonde le pluralisme est déprécié comme une faiblesse honteuse. Le président Bush semble penser le contraire. Il cherche donc à se montrer toujours plus affirmatif, plus imperméable aux précautions, plus entier dans sa préparation de la vengeance. Ce faisant, il rend impossible la recherche de réparations mesurées, sous-estime l'ampleur du sentiment antiaméricain et s'aveugle sur les causes profondes du terrorisme international. Douter un instant de soi et de sa cause n'appartient certes pas au vocabulaire du western, mais cette attitude fait tout de même la différence entre le fauve et l'humain civilisé. L'homme est le seul animal capable de douter et de s'interroger. Même les plus fracassantes des parties patronales ont appris à ne pas qualifier trop vite leurs offres de « finales et définitives » et à laisser ainsi leur chance au doute, à l'espoir et à la souplesse. Le doute est davantage un pari sur le lendemain qu'un signe de mollesse. Il rappelle aux adversaires qui s'opposent aujourd'hui qu'ils devront quand même vivre ensemble après le conflit de travail ou la guerre. En se refusant au doute et à l'examen de conscience, les États-Unis de George W. Bush ratent l'occasion de voir que leur mondialisation appauvrit les plus pauvres et impose à l'humanité entière une culture certes porteuse de valeurs admirables, mais aussi enfermée dans l'immédiat et le quantitatif. Et quand le Canada de M. Chrétien entonne la même antienne vengeresse, il confond lui aussi doute et faiblesse, conciliation et laxisme, fermeté et intransigeance.

Lutter efficacement contre le terrorisme, cela aurait pu commencer, à l'échelle canadienne, par l'acceptation du protocole de Kyoto. En assumant mieux ses responsabilités en matière d'environnement, le Canada aurait permis à de nombreux pays pauvres de mieux concurrencer les produits offerts par des pays industrialisés. Les frustrations du tiers monde en auraient été amoindries. Le Canada aurait pu, de façon plus directe encore, profiter de son embonpoint financier pour porter enfin à un palier plus normal son aide au tiers monde. Il aurait pu, au lieu de répéter vingt fois sa promesse jamais tenue, effacer vraiment la dette des pays les plus endettés. Le Canada, encore aujourd'hui, pourrait investir dans le développement de l'hémisphère sud au lieu de dépenser des milliards dans un autre coup de force américain. Au lieu de s'aligner servilement sur les États-Unis à Durban, le Canada aurait pu y inciter les anciennes nations impériales à douter un peu de leur virginité et donner son véritable nom à l'agression que subissent les Palestiniens.

La lutte au terrorisme ne sera efficace que si elle s'attaque à la pauvreté, à l'humiliation, au mépris. Cela ne se transporte pas sur un porte-avions et ne se transmet pas par des missiles.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010924.html

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