Dixit Laurent Laplante, édition du 3 septembre 2001

Le Canada et sa vassalisation béate
par Laurent Laplante

Il fut un temps, sous Pierre Trudeau, où le torchon brûlait parfois fièrement entre les États-Unis et le Canada. Le pot de terre ne se prenait pas pour l'égal du pot de fer, mais il se permettait une saine délinquance face à l'écrasante orthodoxie américaine. Jean Chrétien commença sous les mêmes auspices, quand il promit, on ne sait plus en quel siècle, d'abroger le traité de libre-échange. La tendance fut évidemment contrée par Brian Mulroney qui n'attendait même pas que lui parvienne l'exigence américaine pour répondre oui. Il faut pourtant constater, au rythme où vont les choses, que le Canada revendique aujourd'hui, avec une servilité inégalée, le statut de premier vassal de l'impérialisme américain. Durban n'est qu'une illustration supplémentaire.

La tendance lourde est manifeste et partout observable. Si Washington décrète que Cuba n'est pas admissible au Sommet des Amériques, le Canada acquiesce et ne se demande plus si Fidel Castro était présent aux funérailles de Pierre Trudeau. Si les conglomérats américains de la manipulation génétique accélèrent la production et la distribution des OGM, le Canada s'efforce de les bien accueillir ici. Contrairement à ce qui s'est produit en France, le gouvernement refuse même de dire où se trouvent les parcelles agricoles où Monsanto et ses émules mènent l'expérimentation. Les États-Unis et le Canada s'entendent pour escamoter le débat sur les OGM et pour mettre l'opinion devant le fait accompli.

Face au protocole de Kyoto, le Canada s'est humblement rallié aux réticences américaines. M. Chrétien n'a pas dit ouvertement que le respect de la parole donnée irait à l'encontre des intérêts canadiens, mais son gouvernement a tout mis en oeuvre pour vider le protocole de Kyoto de son sens et pour que puisse continuer impunément notre contribution au réchauffement de la planète et à la pollution. Le sous-entendu est toujours le même : si les États-Unis le font, mieux vaut le faire. Grâce à l'Australie et au Canada, les États-Unis ont émasculé un protocole pourtant indispensable.

Arrive Durban. Arrive le débat sur le racisme et ses diverses incarnations. Sans surprise, le monde arabe monte aux barricades et exploite à outrance cette occasion de stigmatiser le comportement israélien à l'égard des Palestiniens. La chance est trop belle, presque unique, pour que les capitales arabes la ratent. Le débat, s'il n'en tient qu'à elles, aura lieu, car les États-Unis ne pourront pas, contrairement à ce qu'ils pratiquent régulièrement au Conseil de sécurité, le museler par leur veto. C'en est trop pour l'hégémonie américaine qui ne s'insère dans les institutions démocratiques qu'à condition d'y régner en impératrice. Le Canada, décidément intuitif, capte le message et annonce qu'il n'enverra pas, lui non plus, une délégation de haut vol à Durban. Le ministre canadien des Affaires étrangères, John Manley, dont le communiqué avait soigneusement omis toute référence aux attaques contre Israël, s'est repris dans ses déclarations verbales : la bouderie canadienne, comme celle du tandem Bush-Powell, se fonde sur les critiques dirigées contre Israël. « Nous n'acceptons pas cela » de dire M. Manley.

Deux ou trois précisions devraient intervenir à ce stade et baliser un peu l'affrontement. Par exemple, la différence entre sionisme et judaïsme. Par exemple, la place de Bush dans la politique américaine à longue portée. Par exemple, l'attitude de l'ONU et du Canada à propos de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

À la lecture des deux communiqués émis à propos de la conférence de Durban par B'nai Brith Canada (BBC), on note la confusion savamment entretenue entre Israëliens et juifs. Celui qui critique Israël est accusé de s'en prendre aux juifs, quand il n'est pas d'emblée coupable d'antisémitisme. La vérité, c'est que les juifs méritent le respect, à l'égal de tous les peuples du monde, mais qu'il est permis de considérer l'expansionnisme sioniste comme blâmable. Beaucoup de juifs de la diaspora sont à la fois fiers de leurs origines et opposés au sionisme. On entretient un dangereux malentendu quand, à l'exemple du B'nai Brith, on interprète comme un équivalent de l'antisémitisme hitlérien ce qui n'est qu'une très compréhensible réserve à l'égard de l'État d'Israël. Il devrait être permis de dire, puisque c'est un fait, que le sionisme d'un Ariel Sharon est une menace pour les droits fondamentaux sans être aussitôt traité comme un antisémite.

Deuxième précision : en se portant à la défense d'Israël devant la conférence de Durban, le président Bush ne fait que suivre l'ornière tracée par les précédents présidents américains. Il a tort de se conduire comme il le fait, mais il n'invente rien en matière de solidarité américaine avec Israël. En 1975, c'est-à-dire à peine huit ans après les annexions par Israël de territoires voisins, l'opinion mondiale ne s'était pas encore habituée à ces empiètements. Il en résulta que les pays non-alignés, réunis à Lima en août 1975, adoptèrent la résolution 3379 apparentant le sionisme au racisme et à la discrimination raciale. Les États-Unis ne se résignèrent pas à ce verdict. Ils furent donc absents des deux conférences suivantes, tenues en 1978 et en 1983. Ils obtinrent enfin, le 16 décembre 1991, que l'ONU rescinde sa résolution précédente. Le boycott décidé par Bush ne fait que reproduire ceux de Carter et de Reagan. Qu'il soit permis d'en déduire que, du point de vue de la géopolitique américaine, Israël faisait et fait toujours partie de la stratégie à long terme des États-Unis. Un verrou était nécessaire au Proche-Orient et il l'est toujours. Notons également que Mary Robinson cultive l'amnésie quand elle estime clos le débat sur la parenté entre sionisme et racisme : il était terminé en 1975, mais il a repris et peut reprendre.

Reste le fond de la question : que pense l'ONU du comportement d'Israël? La question est d'autant plus légitime que Kofi Annan a tenu, dans la conférence inaugurale de la conférence de Durban, des propos lénifiants et même incongrus. Dans ce pays où tout rappelle l'apartheid et les années d'emprisonnement de Nelson Mandela ou de Breyton Breytenbach, M. Annan a prétendu qu'il est malséant de dénoncer le racisme d'un pays en particulier et qu'il vaut mieux mettre en oeuvre les moyens de lutter contre toutes les incarnations du racisme, où qu'on les trouve. Pareille attitude est difficile à concilier avec les dénonciations qui se sont autrefois multipliées nommément contre les régimes racistes de l'Afrique australe. On se demande, d'autre part, puisque les textes de la Déclaration universelle sont déjà en place, si le rôle de l'ONU et de la conférence de Durban n'est pas justement de les rappeler à ceux des pays, Israël compris, qui ne les respecte pas. Qu'on relise :

art. 1 : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits...

art. 2 (2) : De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté.

art. 5 : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

art. 13 : Toute personne a le droit de crculer librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État.

art. 17 (2) : Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété.

Il ne s'agit pas là de textes équivoques. Encore faut-il, devant eux, avoir le courage de nommer ceux qui, Israéliens ou taliban, les bafouent. Le Canada ne se grandit pas en se rangeant dans le camp des aveugles volontaires.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010903.html

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