Dixit Laurent Laplante, édition du 23 août 2001

Double jeu américain en Macédoine?
par Laurent Laplante

Même pour un vieux paranoïaque comme moi, la description que donne Michel Chossudovsky des tribulations de la Macédoine dépasse le seuil du tolérable. Je ne suis pas certain que Chossudovsky ait raison d'imputer le machiavélisme américain au désir d'entretenir les conflits ethniques dans les Balkans, mais, quoi qu'il en soit des motifs, les faits que raconte Chossudovsky ont de quoi faire pleurer n'importe quel naïf adepte de la démocratie. D'une part, les États-Unis et leurs alliés mentent à jets continus quant aux enjeux du conflit en Macédoine. D'autre part, les grands médias sont ou d'une coupable paresse en matière d'information internationale ou, ce qui serait pire, complices des manipulations. Ou ils savent et ne disent pas ou ils ne savent pas et on se demande à quoi ils servent. Les deux hypothèses les condamnent.

Documents officiels à l'appui, Chossudovsky, qui n'a rien du jeune activiste erratique et tout de l'économiste alerte et pénétrant, démontre que les États-Unis agissent des deux côtés de la barricade dans le conflit macédonien : ils financent les assauts contre le gouvernement macédonien tout en soutenant le gouvernement macédonien. Ils aident les attaquants et les défenseurs. Mandatée et financée, une entreprise privée américaine dont le siège social est situé à Alexandria (Virginie) procure aux adversaires tantôt le financement requis tantôt l'armement. Cette entreprise, Military Professional Resources Inc. (MPRI), ressemble à une amicale des services secrets américains et fonctionne en étroite collaboration avec le Pentagone, la Central Information Agency (CIA) et la KFOR, une émanation censément neutre des Nations unies. Michel Chossudovsky, qui a déjà démontré dans La Mondialisation de la pauvreté une remarquable connaissance des Balkans, cite de très officiels documents américains à l'appui de ses affirmations.

Sur ce fond de scène déjà scandaleux, des astuces supplémentaires s'additionnent à l'infini. Chossudovky en décrit quelques-unes : l'Armée de libération du Kosovo (ALK) que MPRI alimente en ressources et en armes a comme chef d'état-major Agim Ceku, un monsieur que le Tribunal de La Haye désigne nommément comme un « présumé criminel de guerre » en raison d'atrocités commises à Krajina, mais qu'on ne poursuit pas; le trafic de drogue qui sévit dans les Balkans contribue lui aussi à financer l'ALK avec la complicité de l'OTAN et des États-Unis; le gouvernement macédonien, que l'OTAN et les Nations unies soutiennent officiellement, est constamment pressé par ses alliés (?) de ne pas réprimer trop brutalement les offensives de l'ALK et ne reçoit en soutien militaire qu'un équipement désuet dont MPRI aide les États-Unis à se débarrasser... Lire au complet le dossier de Chossudovsky met à rude épreuve la foi qu'on peut avoir dans des organisations comme l'ONU, l'OTAN, la KFOR. Quand on parle d'accords entre les attaquants albanophones et le gouvernement macédonien, on a l'impression qu'une même main américaine signe au nom des deux parties.

Le but visé par ce double jeu? Chossudovsky croit qu'une exacerbation des conflits ethniques fournira aux États-Unis un prétexte pour affermir leur présence dans la région et se substituer à des régimes démocratiques qu'ils ne contrôlent pas. Il se peut. Une autre hypothèse, qui n'est d'ailleurs pas incompatible, c'est celle des « corridors » balkaniques qu'explique un autre observateur. Cette explication se défend d'autant mieux que, déjà, au moment où la présidence américaine appartenait à Bill Clinton, Washington avait profité d'un sommet de l'OSCE où chacun, jusqu'à Jean Chrétien, reprochait à Vladimir Poutine sa guerre de Tchétchénie, pour discuter corridor, pipeline et pétrole. À l'époque, j'avais considéré le geste comme disgracieux; je ne le savais pas perfide.

Comme si cela ne suffisait pas, rappelons qu'un texte signé Peter Worthington avait déjà affirmé que le fameux massacre de Racak, déclencheur officiel des bombardements de l'OTAN sur Belgrade, n'a tout simplement pas eu lieu. La mise en scène rappelait celle de Timisoara, où des corps tirés de la morgue avaient été présentés comme preuve d'un charnier. Cette fois-ci, nous a-t-on dit, 45 civils albanais auraient été massacrés par les forces serbes dans le village de Racak, à une trentaine de kilomètres de Pristina au Kosovo. L'Armée de libération du Kosovo avait fait voir les corps à tous ceux qu'elle entendait dresser contre les Serbes. Opération réussie : les diverses capitales, Ottawa compris, dénoncent l'horreur à qui mieux mieux. À partir de là, les événements s'enchaînent : le 19 mars 1999, le président Clinton clame son dégoût; le 24 mars, l'OTAN entreprend des bombardements qui dureront 78 jours.

Le problème, ainsi que l'ont démontré des scientifiques finlandais dont on a longtemps dissimulé le rapport, c'est qu'il ne s'agissait pas de civils, que les corps ne portaient pas les traces typiques d'une exécution en série, que les trous de balle dans les vêtements ne correspondaient pas aux blessures visibles sur les corps, que des vêtements civils avaient probablement été substitués aux uniformes, que la poudre dont les mains des morts étaient imprégnées permettait de croire qu'il s'agissait de combattants morts les armes à la main. Donc, pas de massacre. Quand la vérité (?) fut enfin connue, l'OTAN avait commencé ses frappes.

Quand on lit ces divers textes les uns à la suite des autres, une hypothèse surgit qui peut, hélas! les rattacher : celle d'une contribution américaine à la mise en scène qui servit de prétexte aux bombardements de Belgrade. Si, en effet, comme l'explique Chossudovsky, les États-Unis soutenaient déjà discrètement l'Armée de libération du Kosovo au moment où elle déstabilisait l'ensemble de la fédération yougoslave, l'occasion était belle pour eux d'inventer un massacre, d'en confier la présentation à ses mercenaires albanais, de provoquer les haut-le-coeur et donc les bombardements. Si tel est le cas, le Tribunal pénal internationale pour l'ex-Yougoslavie devra sans doute accroître sensiblement le nombre de ses cellules. Cette hypothèse effarante expliquerait, en tout cas, pourquoi le Tribunal en question a beaucoup tardé à regarder si l'Armée de libération du Kosovo n'avait pas, elle aussi, commis quelques atrocités.

Bifurquons un instant et pensons au Québec. Le virage se justifie, car ces textes trouvent leur sens et leur indispensable diffusion au moment même où le premier ministre Landry songe à inviter, pour la troisième fois, les Québécois à se dire oui à eux-mêmes. Peut-on croire un instant que les apprentis-sorciers qui agitent et manipulent les Balkans vont s'abstenir de toute ingérence dans les affaires québécoises? Quelle forme prendra-t-elle?

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010823.html

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