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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 16 août 2001

L'environnement et la structurite

On ne devrait pas se plaindre si, comme le promet le chef du Parti libéral du Québec, Jean Charest, la préoccupation écologique devient un thème prépondérant de la prochaine campagne électorale. Que le Québec se dote d'un « plan vert » répondrait probablement à un besoin, à condition qu'on en attende seulement ce qu'il ne peut donner. Que les principes du « développement compatible avec la qualité de vie des prochaines générations » (sustainable development) méritent de s'appliquer n'est pas non plus douteux. Il n'est pas dit, cependant, que la tuyauterie à laquelle songe M. Charest pour atteindre ce louable objectif soit nécessaire. Il n'est surtout pas certain que le plus récent virage verbal de M. Charest modifie en profondeur les assises et le programme d'un parti dont on attendrait aujourd'hui rigueur et renouvellement.

Au Québec comme en bien d'autres pays, le contraste est marqué entre le discours écologiste et les gestes concrets, entre les voeux pieux et l'exigeante cohérence qui changerait vraiment le décor. Lorsque le développement économique et le respect de l'environnement cheminent ensemble par temps calme, tout va bien. On tient des colloques rafraîchissants, on multiplie les sondages qui démontrent (?) que l'environnement importe aux gens encore plus que l'emploi ou la pauvreté, etc. Certains y croient, moi pas. Si, en revanche, le temps se gâte, l'environnement retourne à une honnête et insignifiante quarante-troisième place dans l'échelle des vraies priorités sociales et les thèmes économiques imposent leur loi. Quand, en effet, des arbitrages se révèlent nécessaires, c'est toujours la dimension économique, depuis l'emploi jusqu'aux investissements, qui dicte les décisions. Hélas!

Bel objet de discours émouvants, l'écologie n'est pas encore, malheureusement, du moins pas de façon constante et vérifiable, un facteur déterminant dans la gestion concrète. Pour s'en persuader, on n'a qu'à penser à L'Erreur boréale. Ou on peut s'intéresser aux problèmes que posent la multiplication des porcheries industrielles et, de façon plus globale, la place prise par une agriculture massive, pressée, polluante. Ou on peut parcourir nos banlieues bien peignées où la haine du pissenlit conduit les adorateurs de la verte pelouse à utiliser autant de produits chimiques que l'industrie forestière au complet. On pourrait encore, au passage, s'inquiéter du fait que la relance, évidemment souhaitable, de l'usine de Chandler ait presque terminé son montage financier, alors qu'on ne sait pas d'où pourra bien provenir le bois nécessaire ni si l'on pourra surmonter les ruptures de stock sans bafouer ce cher « développement durable ». Autant dire que la préoccupation environnementale obtient plus de succès dans les discours et les sondages que dans le réel.

L'écologie au premier rang des enjeux de la prochaine campagne électorale? Dans les discours peut-être, par conséquent. Souvenons-nous, pour alimenter notre méfiance, de cette campagne électorale où Robert Bourassa avait promis de placer l'environnement (avec la famille) au coeur du débat électoral et pendant laquelle on a surtout assisté à un loufoque carambolage de barils de BPC d'une rive à l'autre de l'Atlantique jusqu'au quai de Baie-Comeau... On avait alors pourtant en Lise Bacon une ministre de l'Environnement capable de vigueur, de cohérence et même d'efficaces pressions sur le premier ministre. D'écologie, il ne fut plus question pendant le reste de la campagne. On verra donc.

Le problème de fond est le suivant : que pèse vraiment le souci écologique dans le réel de nos orientations individuelles et collectives? Tant que la réponse à cette interrogation demeurera incertaine, rien n'autorise l'optimisme.

Pourtant, le Parti libéral de M. Charest succombe une fois de plus à la tentation pubertaire de nouvelles structures : un commissaire, un rapport aux trois ans, un rattachement au vérificateur général, que sais-je encore? Cela fleure bon l'improvisation et une persistante aptitude à tirer des plans sur la comète. D'une part, rien, dans ce que suggère M. Charest, ne renforce les mécanismes qui, déjà, portent sur les épaules la préoccupation environnementale. D'autre part, rien, dans les additions proposées, ne fait le poids face à la force de frappe que possède aujourd'hui en exclusivité le versant industriel et financier du développement.

Un exemple suffira. Le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) existe depuis déjà plusieurs années. Surtout à l'époque où il était dirigé par André Beauchamp, il a réussi, sans jamais revendiquer plus qu'un rôle de conseiller, à civiliser quelque peu Hydro-Québec et à substituer les tunnels sous-fluviaux aux innommables pylônes qui défigurent l'accès à l'île d'Orléans. Le même BAPE, toujours avec les mêmes moyens restreints, avait également exercé des pressions déterminantes sur les stratégies de l'industrie forestière face à la tordeuse des bourgeons de l'épinette. Autrement dit, le BAPE est là et il s'est plusieurs fois montré capable de mener de front l'interrogatoire serré des projets industriels et la sensibilisation du grand public. Pourquoi construire sur du vide au lieu de renforcer le BAPE?

Ce qui, en effet, a souvent manqué au BAPE et que ne lui apporte pas le plan vert de M. Charest, c'est tout bêtement le courage politique. Courage politique qui aurait dû, depuis des années, astreindre tous les grands projets, privés ou publics, au processus de l'audience publique. Quand, en effet, une trop souple réglementation rend aléatoire l'intervention du regard critique du BAPE, ce n'est pas en créant un quelconque commissariat à l'environnement qu'on réglera le problème. Le commissariat dépendra lui aussi de l'arbitraire du prince; en plus, contrairement au BAPE, il lui faudra tout apprendre.

Quel que soit, ancien ou nouveau, le mécanisme retenu par un gouvernement pour protéger l'environnement, la doctrine admirable du « développement compatible avec la survie de l'humanité » ne se traduira en termes concrets que si, vraiment, ce gouvernement place sur un pied d'égalité les valeurs écologiques et les avantages économiques. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas, ni au palier municipal, ni au palier provincial, ni au palier fédéral. Si les promoteurs du tourisme estiment avoir besoin de douze nouveaux débarcadères dans le port de Québec, le risque est grand que les citoyens voient plus souvent les flancs des grands bateaux de croisière que le fleuve lui-même et que, une fois de plus, la beauté du lieu le cède à la rentabilité touristique. Si les promoteurs du cinéma IMAX jetaient de nouveau leur dévolu sur les mêmes superbes abords du même fleuve, on peut parier qu'il se trouvera encore une administration municipale pour décréter, au nom de la culture entendue dans son sens le plus rentable, qu'il faut permettre à une boîte carrée de s'installer là plutôt qu'ailleurs. Équilibre entre le développement économique et la survie de la beauté, de la qualité de vie et de l'environnement? Ce n'est pas une question de structure, mais de race politique. Elle est à créer.

D'ailleurs, nous sommes encore si loin de l'équilibre désirable que le vocabulaire balbutie encore. Avec les meilleures intentions du monde, on ne peut pas traduire sustainable development par développement durable. Les pyramides d'Égypte ont beau être ce qu'il y a de plus durable, elles ne peuvent être décrites comme les filles d'un développement sustainable. Du moins, j'espère que non, en mémoire de tous les esclaves qui les construisirent et qui ne souhaitaient certainement pas que leurs enfants subissent un sort semblable au leur. Au sustainable development, il faut que la langue française donne un équivalent qui irait, mais en plus court, dans le sens d'un « développement compatible avec la survie de l'espèce humaine ».

Dans la même veine, je ne suis pas certain que l'expression de « plan vert » soit bien choisie. Le développement harmonieux exige justement que nous mettions sur un pied d'égalité le développement économique et l'écologie, le progrès de l'emploi et celui de la qualité de vie. Autrement dit, il s'agit de ne pas choisir entre deux développements, mais d'harmoniser les deux. Parler d'un plan vert, c'est peut-être un choix sympathique, mais c'est encore un choix, pas une harmonisation.

Tant mieux si le Parti libéral s'intéresse au sujet, mais ses travaux préliminaires ne lui valent encore qu'une note médiocre.

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