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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 9 août 2001

La démocratie se meurt, vive la force!

Il est des jours où le survol de l'actualité provoque le désenchantement. Quatre ans après les dérapages qui ont marqué le sommet de Vancouver, une enquête conclut au manque de professionnalisme de la Gendarmerie royale et à l'ingérence politique. Toujours aussi incapable de voir plus loin que le plus proche puits de pétrole, le vice-président Dick Cheney commence à trouver des vertus aux assassinats ciblés que multiplie Israël. La Conférence mondiale sur le racisme trébuche dès l'étape des travaux préparatoires. Une contrepartie heureuse existe-t-elle? Oui, mais de façon paradoxale : on prononce moins de discours hypocrites pour vanter la démocratie et les forts se satisfont de faire parler la force. En somme, les enjeux se dramatisent et se clarifient.

Des événements de Vancouver, il faut retenir, plus encore que les bavures policières, la parfaite amoralité politique. Il est désormais établi que le cabinet fédéral n'avait que faire du droit d'expression des opposants et qu'il ne se préoccupait que des visiteurs étrangers et de l'image du Canada. Les relations publiques avant l'exercice de la démocratie. Une fois la honte consommée, il restait, dans le même esprit, à maquiller, à brouiller les pistes, à utiliser la Gendarmerie comme bouc émissaire, à user de sophismes pour justifier que la force ait pris le pas sur le droit d'expression. Même menée avec passablement de rigueur, l'enquête a donc en partie raté un important objectif : elle n'a pas suffisamment mis en lumière le rôle exact du bureau du premier ministre Chrétien. M. Chrétien est pourtant l'homme qui porte la responsabilité d'organiser la prochaine rencontre du G-7 (ou du G-8?). Il a si bien compris la leçon de Vancouver qu'il cherche présentement à rendre encore plus inexistant le droit à la dissidence démocratique. Rassurant.

De son côté, le tandem américano-israélien a refait son unité quant à la suprématie du muscle. Ariel Sharon et ses relationnistes ont réussi, en attirant l'attention sur les assassinats de leaders palestiniens, à faire oublier que se poursuit l'implantation de colonies israéliennes partout où Sion prétend retrouver ses origines. Ils ont si bien atteint l'objectif que le vice-président Cheney, qu'on n'accusera certes pas d'imiter de trop près mère Teresa, a emboîté le pas et a même déclaré que les assassinats sélectifs ne sont peut-être pas une si mauvaise pédagogie. « Si, a-t-il dit, vous avez une organisation qui a fomenté ou est en train de fomenter des attentats-suicides, par exemple, et si vous savez de qui il s'agit et où ils se trouvent, je pense qu'il y a quelques justifications à essayer de se protéger en les devançant. » Du coup, il se confirme que les « préoccupations » du président Bush à propos des assassinats sélectifs n'étaient qu'une concession verbale et superficielle à une éphémère rectitude politique et que Dick Cheney l'avait compris ainsi.

Avec une telle conception de la justice, on se demande bien pourquoi le vice-président Cheney ne fait pas campagne pour l'abolition du pouvoir judiciaire. Entre l'assassinat des résistants par la puissance occupante et le lynchage par des éleveurs choqués par un vol de bestiaux, le premier n'est-il pas, en effet, le plus répugnant? Sharon et Cheney se sont bien compris : s'ils ont la force requise pour le faire, ils le font. Démocratie? À quoi bon?

C'est dans ce climat que tente de s'organiser la Conférence mondiale contre le racisme. Elle se déroulera, du moins en théorie, dans un lieu porteur d'un douloureux symbolisme : Durban, en Afrique du Sud. Elle aurait dû, tablant sur le fait que l'immense majorité des pays membres de l'ONU se sont déjà engagés depuis des décennies à combattre le racisme et profitant des constantes mises à jour qu'effectue Amnistie Internationale dans ce domaine des droits fondamentaux, éveiller une nouvelle détermination et faire surgir une plus grande cohérence. Il est, en effet, de notoriété mondiale que le racisme sévit encore dans presque tous les pays et que des engagements ratifiés il y a un demi-siècle tardent toujours à changer la vie quotidienne.

En sera-t-il ainsi? La communauté internationale en doute à juste titre. D'un côté, il y a ceux qui réclament, surtout au nom du continent africain, des dédommagements pour les dégâts causés par l'esclavage et le colonialisme. Tout près d'eux, il y a plusieurs pays arabes qui apparentent, non sans quelque raison, le sionisme au racisme et qui pressent l'ONU de le signifier clairement. De l'autre côté, on trouve, sans surprise, les États-Unis, qui ne veulent rien entendre au sujet de la traite des Noirs ou du lien entre sionisme et racisme. Mais on trouve aussi, contrairement au débat sur le protocole de Kyoto, tous les pays européens qui, plus que jamais, font l'impasse sur leur passé colonial et esclavagiste. Peut-être les pays européens admettraient-ils, du bout des lèvres, que peut-être, en un temps mythique, certains de leurs ancêtres se sont enrichis dans le trafic du bois d'ébène, mais l'amnésie les reprend dès que l'Afrique évoque la possibilité de réparer financièrement les torts causés. Entre les deux camps, la mésentente est compacte.

Pendant que les deux camps ergotent sans la moindre intention de se rapprocher l'un de l'autre, la discrimination raciale continue. Des Balkans à l'Indonésie, des États-Unis à la Tchétchénie. Avec une telle constance et une telle intensité qu'on se surprend à souhaiter que les consciences et les bonnes volontés s'appliquent plutôt à préparer un futur différent qu'à entreprendre une impossible réécriture de l'histoire. Il ne s'agit pas d'oublier, mais de ne pas laisser le passé boucher l'horizon. Après tout, Durban devrait rappeler l'exemple de Nelson Mandela.

Peut-on au moins, contre cette morose toile de fond, considérer comme un événement heureux la première condamnation pour génocide visant l'Europe? Globalement, oui. La justice internationale avait déjà sévi à propos de l'Afrique, mais cela n'avait pas lancé une onde de choc ni même occupé une place de choix dans l'information. Cette fois, ça y est : un général serbe est condamné à quarante-six de prison. Il convient de marquer l'événement d'une pierre blanche, mais le crime de Radislav Krstic ne doit pas occulter les innommables péchés d'omission des pays qui l'ont regardé faire. L'ONU, qui condamne, fait partie des coupables.

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