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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 26 juillet 2001

Mais pourquoi un G-7 1/2?

Le premier ministre Jean Chrétien, à titre d'hôte de la prochaine réunion du G-7 ou du G-8, propose de modifier divers aspects de ce type de sommets. Les chefs d'État se réuniraient dans un lieu plus facile à ceinturer et à protéger des manifestations tumultueuses. Les délégations seraient sensiblement réduites. Et le reste. M. Chrétien oublie cependant l'essentiel : c'est le G-7 ou le G-8 lui-même, non son emballage, qu'il convient de remettre en question. Ou il revient à la modestie de sa naissance ou il doit disparaître.

La composition de ce cénacle est en elle-même aussi arbitraire que possible. On ne sait plus, dans les médias et dans les déclarations gouvernementales, s'il faut parler des pays les plus riches ou des pays les plus industrialisés. Dans une hypothèse comme dans l'autre, la Russie n'a pas sa place à cette table. Les journalistes prudents le savent et parlent de rencontres réunissant « les sept pays les plus industrialisés et la Russie », ce qui correspond davantage à la réalité, mais n'explique toujours pas l'ajout de la Russie. Si, d'autre part, on veut parler de pays suffisamment lourds pour infléchir la gouverne du monde, le Canada et l'Italie n'ont pas non plus leur place à cette table.

Même ramené à ses effectifs du début, le G-7 n'a pas de légitimité pour discuter de l'envoi d'observateurs au Proche-Orient ou pour décider du sort de l'Afrique. Sous diverses impulsions, dont celle des États-Unis qui est à coup sûr déterminante, le G-7 ne cesse pourtant d'amplifier et de diversifier ses prétentions. L'ancien président français Valéry Giscard d'Estaing, qui avait pris l'initiative de ces rencontres et qui avait tenu la première au château de Rambouillet, déplorait lui-même il y a quelques jours les dérives subies par le G-7 au fil des ans. L'une des plus notables est celle de meubler les rencontres du G-7 de discrètes négociations tout azimut dont le communiqué final ne dira évidemment rien. Si, par exemple, le président Bush, comme il avait promis de le faire, a discuté avec M. Chrétien du commerce de l'eau canadienne, on ne le saura qu'une fois retombé le vacarme qui a secoué Gênes.

Le problème ne date pas d'hier. Un point de comparaison est fourni par Verbatim de Jacques Attali, véritable journal de bord rédigé à chaud et touchant à la plupart des aspects de la présidence de François Mitterrand. Au sommet du G-7 de Bonn, en 1985, on trouve autour de la table Ronald Reagan, Bettino Craxi, Margaret Thatcher, Helmut Kohl, Jacques Delors, Yasuhiro Nakasone, Brian Mulroney, François Mitterrand. Ce dernier exprime sa mauvaise humeur :

Les textes ici sont de plus en plus compliqués. Il faudra se débarrasser de toute cette paperasserie. Si ces Sommets ne retrouvent pas leur forme initiale, la France n'y viendra plus. Nous ne sommes pas froissés d'être minoritaires dans une institution. Mais, ici, ce n'est pas une institution, nous sommes là pour mieux nous connaître et harmoniser nos politiques. C'est tout.

Mitterrand durcit le ton encore davantage :

Sur ces sujets (Initiative de défense stratégique et GATT), des accords bilatéraux ont été passés avant le Sommet entre certains d'entre vous, et le débat autour de la date de 1986 (pour l'entrée en vigueur du GATT) a pris une telle signification que je ne peux donner mon accord. Je n'accepte pas le fait accompli. De façon plus générale, nous ne sommes pas le directoire des affaires du monde. Il y a des institutions pour cela. Nous ne sommes pas non plus un tribunal qui aurait à juger amis et alliés. Si c'était cela, je prendrais garde à ne pas mettre mon pays dans une telle situation. Si la France était ainsi traitée, j'y mettrais fin. Je ne viendrais plus. Jacques Attali avait prévenu dès février que ce serait non sur l'IDS et le GATT. Alors, pourquoi en avoir reparlé ici?

Toujours selon le secrétaire de la présidence française, Brian Mulroney serait alors intervenu en disant : « François Mitterrand a raison sur ces points vitaux. »

Seize ans plus tard, la paperasserie surabonde, les échanges bilatéraux se déroulent en marge du sommet, le club rédige d'avance un communiqué final dont on ne peut garantir la parenté avec le contenus des discussions, des décisions sont prises comme si le FMI et la Banque mondiale étaient aux ordres du G-7. Ce qui devait être une gentille rencontre sociale entre leaders politiques d'un certain coloris est devenu le fer de lance d'une mondialisation sans nuance.

On aura d'ailleurs remarqué que divers forums ont retenu l'attention en même temps que se réunissait le G-7. Bonn discutait du protocole de Kyoto, New York du contrôle des armes légères... Était-ce l'effet du hasard? Doutons-en. Croyons plutôt à un effort concerté pour disperser la protestation, pour multiplier les centres de décision, pour morceler et stériliser le véritable leadership politique. Pendant que se déchaîne le rouleau-compresseur de la mondialisation économique, l'humanité assiste, impuissante ou myope, à la dépréciation de l'ONU, l'instrument qu'elle s'est pourtant donné pour aérer la discussion et organiser la planète selon une démocratie plus agissante.

C'est l'ONU qui doit discuter le sort de l'Afrique, pas le G-7. C'est à l'ONU qu'il incombe de débattre du Proche-Orient. À l'ONU encore et toujours d'élaborer un contrat mondial de l'eau. Quand le premier ministre Chrétien reproche aux adversaires de la mondialisation de ne pas respecter les élus de la démocratie, il oublie que le G-7 ne détient aucun mandat démocratique pour régenter la planète.

En disparaissant, le G-7 ferait donc oeuvre utile. Il libérerait l'avant-scène au bénéfice des institutions légitimes. Il aiderait l'ONU à mener dans un cadre planétaire les débats qui concernent l'ensemble des humains : la pauvreté, la production et la vente d'armes, l'eau, la protection contre les gaz à effet de serre... Ce n'est pas en cachant le G-7 sur un îlot rocheux du Pacifique et en l'entourant de porte-avions hargneux qu'on lui inventera une légitimité. Tel qu'il est, le G-7 nuit.

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