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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 2 juillet 2001

Des éloges ou un cran d'arrêt?

Kofi Annan reçoit un deuxième mandat en même temps que s'élève à son sujet un concert d'éloges. Cela étonne quelque peu. D'une part, parce que la recommandation d'accorder ce deuxième mandat à Kofi Annan a reçu l'aval massif des quinze membres du Conseil de sécurité. D'autre part, parce que l'ONU, tout récemment encore, faisait l'objet de critiques acerbes. L'éloge qu'ajoute Human Rights Watch (HRW) au vote onusien ne fait qu'ajouter à l'ambiguïté, car la liste des choses à faire au cours du second mandat est costaude. Kofi Annan est-il réélu parce que chacun a appris à vivre avec lui ou parce qu'on l'identifie comme l'artisan efficace de la paix, de l'équité et de la prospérité?

Rappelons d'abord les précédents. Qu'un secrétaire général de l'ONU reçoive un deuxième mandat est non pas l'exception, mais la coutume. Des sept secrétaires généraux qu'a connus l'ONU depuis 1946 (Lie, Hammarsköld, Thant, Waldheim, Perez de Cuellar, Boutros-Ghali et Annan), seul Boutros Boutros-Ghali n'a pas reçu ce renouvellement.

Comme le Conseil de sécurité de l'ONU a siégé à huis clos pour décider de ce renouvellement, on sait assez peu de choses des critères d'évaluation qu'ont utilisés les quinze membres. En revanche, HRW étale avec transparence ses motifs de satisfaction et ses réserves. Aux yeux de cette ONG vouée à la défense des droits fondamentaux et qui a acquis au fil des ans autant de crédibilité que de mobilité, Kofi Annan a grandement contribué à sensibiliser l'humanité à la question des droits. On lui reconnaît également, à bon droit, un intérêt soutenu et courageux pour la lutte contre le sida. HRW dresse cependant une liste longuette de ce que Kofi Annan devrait faire au cours de son nouveau mandat. Cela ressemble étrangement à la formule que nos anciens bulletins scolaires utilisaient à satiété : « Bien, mais pourrait faire mieux. »

C'est peut-être là, malgré le caractère aléatoire d'une telle évaluation, ce qui s'applique le mieux au bilan de Kofi Annan. On attribue à ce diplomate de carrière un certain assainissement de la bureaucratie onusienne, mais, que je sache, la question des cotisations non versées, celle des États-Unis au premier chef, demeure toujours en suspens. L'ONU continue à ne pas avoir les moyens de sa vertu. Lorsque les États-Unis ont perdu récemment leur poste à la commission des droits de l'homme, des élus américains en ont profité pour déclarer deux choses : d'une part, que cette décision confirmait que l'ONU n'est qu'une farce; d'autre part, qu'il fallait retenir la cotisation américaine jusqu'à ce que l'ONU revienne sur sa décision. Dans les circonstances, deux conclusions s'imposent. La première, c'est que la rationalisation de la gestion onusienne est toute relative; la seconde, c'est que les États-Unis n'ont pas d'objection à ce que la « farce » continue sous la même gouverne.

Malgré l'importance du volet financier, tel n'est sûrement pas le critère le plus sûr pour apprécier le travail d'un secrétaire général de l'ONU. Mieux vaudrait l'examiner sous l'angle de la paix, de la lutte contre la pauvreté, de l'équité. Vu sous cet angle, le bilan de Kofi Annan redevient équivoque. Son discours, HRW le souligne, est d'une franchise en nette progression, d'un ton parfois mordant. Kofi Annan aura eu le mérite de dire tout haut et à la face du président Poutine ce qu'il faut penser du comportement russe en Tchétchénie. Kofi Annan aura également reconnu les torts de la communauté internationale dans diverses crises majeures, depuis le génocide rwandais jusqu'à l'enlisement de la Sierra Leone. Cela contribue, et ce n'est pas un mince mérite, à éveiller les consciences et le sens des responsabilités.

En revanche, Kofi Annan ne parvient ni à occuper la place qui lui revient dans les tractations qui s'éternisent cruellement au Proche-Orient ni à parler aussi clairement des torts américains et européens que des abus russes. Il laisse s'accréditer différentes interprétations du rapport Mitchell au sujet du Proche-Orient, alors qu'il pourrait et devrait formuler à haute et forte voix la première exigence de ce document : que cesse enfin l'implantation de colonies israéliennes en territoire palestinien. Kofi Annan est bien peu loquace quand les États-Unis traitent Belgrade comme un vulgaire chasseur de primes et mettent à prix la tête de l'ex-dictateur Milosevic, alors même que Washington s'oppose à ce qu'un quelconque tribunal international puisse juger des ressortissants américains. Face à la persistante emprise économique des pays riches sur l'hémisphère sud, Kofi Annan, certes, exprime des regrets, mais ils sont moins percutants que ceux d'Aminata Dramane Traoré, ex-ministre de la Culture du Mali. « Le bilan économique est désastreux », dit celle-ci avant de déplorer « le coût social des plans d'ajustement structurels » qu'imposent le FMI et la Banque mondiale, organisations pourtant onusiennes (Le Monde, 26 juin 2001). Il est clair, et ce serait lui faire injure que de penser le contraire, que Kofi Annan est blessé de ce que l'Afrique ne représente encore que un pour cent du produit intérieur brut mondial et que 17 des 22 millions de morts imputables au sida soient africaines, mais comment expliquer que le secrétaire général de l'ONU n'émette aucun commentaire sur l'orientation regrettable que l'Europe et les États-Unis donnent aux bras financiers de l'ONU? On peut également s'étonner que Kofi Annan ne pointe jamais du doigt l'hypocrisie qui consiste, à l'échelle mondiale, à signer vertueusement tous les protocoles imaginables, mais à oublier ensuite de les ratifier. Le Canada, à titre d'exemple, blâme l'administration Bush de ne pas respecter le protocole de Kyoto, mais il tarde lui-même à ratifier de nombreux protocoles. (Dans Quel Canada pour les autochtones, l'avocate Renée Dupuis donne une idée des hésitations canadiennes face à l'Organisation internationale du travail.)

Il existe une réponse unique et facile à toutes ces interrogations : Kofi Annan se ferait vite rabrouer par les pays industrialisés s'il insistait trop. On déduit de cette hypothèse que mieux valent les petits pas qui s'accumulent que la grande dénonciation vouée à la stérilité. Kofi Annan aurait donc raison d'être pour l'humanité une conscience certes lucide, mais tempérée et polie. Il se peut. Si tel est le cas, il faudrait cependant convenir de ceci : le renouvellement de mandat qu'obtient Kofi Annan n'aurait rien d'enthousiasmant. Il confirmerait que les pays riches et industrialisés tolèrent qu'on leur adresse des reproches à condition qu'ils demeurent vagues et ne visent pas à modifier la situation.

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