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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 25 juin 2001

Parlons de sport

Directement ou indirectement, le sport ou ce qui en tient lieu fait constamment parler de lui. Parfois en raison de l'activité sportive elle-même, plus souvent à cause des revenus démentiels qu'obtiennent les professionnels du sport, du dopage qui devient consubstantiel à la performance, des procès intentés aux athlètes violents qui se jugent au-dessus des lois ou encore du comportement douteux des propriétaires d'équipes ou des dirigeants d'associations. Quand, en plus, les politiciens s'en mêlent, la boucle est bouclée : le sport perd tout lien avec ce qui doit faire son utilité ou au moins son attrait. Il devient un modèle indésirable.

Ne prétendons pas à l'exhaustivité, mais relevons quelques perles dans l'actualité immédiate.

- En examinant le hockey mineur à la demande de l'Assemblée nationale du Québec, la Commission de l'aménagement du territoire, qui compte le loisir parmi ses préoccupations, a vite constaté les conséquences concrètes de la violence qui y sévit. Ainsi, de 122 000 inscriptions de jeunes, on passe à 80 000 en l'espace de quelques courtes années. Conclusion de la Commission et de bon nombre de ses témoins : l'État doit convaincre le milieu de se doter d'un code d'éthique. Chacun pressent, cependant, que le sport professionnel, dont l'influence détermine les comportements des jeunes sportifs, n'emboîtera pas le pas.

- Le lendemain de ce constat, le tout nouveau ministre délégué au Tourisme, au Loisir et au Sport, Richard Legendre, annonçait l'addition de neuf millions de dollars en subventions gouvernementales. Tout en reprenant à son compte les chiffres sur l'excès de poids et la sédentarité des jeunes, le ministre consacrait pourtant la moitié du montant au sport d'élite et plus du quart aux Unités régionales de loisir et de sport (URLS). Pour lutter contre la sédentarité? Un seul des neuf millions. Étrange et incohérente ventilation des fonds.

- Comme le Comité international olympique (CIO) choisit d'ici une quinzaine de jours la ville qui organisera les jeux de 2008, la nervosité est grande chez celles qui ont présenté leur candidature. Elles devraient normalement se montrer d'une prudence exemplaire. Or, voici que le maire de Toronto, ville candidate, commet deux impairs d'un seul coup : il se permet un humour plus bête que raciste à propos des Africains et, du même coup, il attire l'attention sur le fait qu'il est en train de promouvoir la candidature de Toronto comme il n'est pas censé le faire. Venant à sa rescousse, le premier ministre Chrétien, qui n'a évidemment pas étudié les cinq dossiers de 650 pages chacun des villes candidates, déclare que les propos malséants du maire de Toronto ne changent rien au fait que la candidature de Toronto est la meilleure.

- Paris, heureusement pour Toronto, ne fait pas mieux. Le président du comité de candidature olympique de la ville de Paris, André Bébéar, qui assume dans une existence parallèle la présidence du conseil de surveillance du consortium Axa, vient de subir des interrogatoires judiciaires qui semblent rattachés à des affaires que Le Figaro (14 juin 2001) résume globalement ainsi : « escroquerie, vol et blanchiment aggravé ». Une source judiciaire, citée par le journal parisien, commente : « Il ne manquait plus qu'apparaissent dans ce sulfureux dossier de grands noms de la finance, dont celui de Claude Bébéar, qui préside actuellement le comité de candidature de Paris pour les Jeux olympiques de 2008, pour que le tableau soit complet. » Sport, finance et peut-être autre chose.

- Intervient alors, comme par hasard, le directeur de Reporters sans frontière, Robert Ménard, pour s'opposer à ce que les jeux de 2008 soient confiés à la Chine, pays qui bafoue les droits fondamentaux. Si on a lu le plus récent livre de Ménard (Ces Journalistes qu'on veut faire taire), on peut se demander quel motif, passion pour le bien, frénésie médiatique du monsieur ou instinct cocardier, a été ici déterminant.

- Quant au cyclisme européen, qu'il s'agisse du Giro italien ou du Tour de France, il n'en finit plus d'allonger la liste de ses malheurs. Le président du l'organisme international spécialisé (UCI), Hein Verbruggen, concède qu'il est anormal qu'un pays ne fasse rien alors que 45 % des contrôles effectués en France l'an dernier se soient révélés positifs, mais il dénonce comme « spectaculaire, brutal, médiatisé » le raid policier qui a conduit à la mise en examen d'une soixantaine de coureurs impliqués dans le Tour d'Italie.

- Au même moment, un coureur mentionné dans les précédents scandales, la vedette Richard Virenque, est accusé par une certaine presse (relayée par Le Monde) d'avoir littéralement payé un rival pour qu'il lui concède une victoire d'étape. Accusation que le cycliste a rejetée.

Il serait futile d'allonger la liste des exemples. L'argent impose sa logique au sport comme il le fait dans tous les domaines où on le laisse agir sans balise aucune. Il sert de motivation aux athlètes qui n'en ont pas d'autre, aux chercheurs de l'industrie pharmaceutique, aux commanditaires des équipes de sport, aux gouvernements prêts à abdiquer leurs responsabilités en échange de droits de télévision. L'argent exerce une telle fascination qu'on triche pour obtenir une médaille rentable, qu'on précipite les enfants dans une pratique sportive propice aux matamores ambitieux, que les villes et les gouvernements s'agenouillent devant les équipes professionnelles qui leur promettent prestige et tourisme.

Cela, on le sait. On le sait, mais on agit comme si l'argent échappait à tout contrôle et comme s'il fallait que les enfants, les parents, la société entière se laissent imposer les choix de sports et de comportements que dicte l'impératif financier. Dans la plus parfaite incohérence, on proclame la nocivité d'un sport professionnel gourmand, vindicatif et délinquant, mais on continue à implorer la présence d'équipes sportives sans entrailles, à demander des jeux olympiques sujets à caution et soumis aux caprices d'un club privé, à souhaiter la prolifération de médailles plutôt que la meilleure santé de la population. On constate que 42 000 jeunes ont renoncé à la pratique du hockey, mais on finance la pratique sportive comme si l'important était de produire, avec ceux qui restent, la prochaine génération de truands professionnels.

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