Dixit Laurent Laplante, édition du 14 juin 2001

La gauche, oui, mais laquelle?
par Laurent Laplante

Une fois de plus, la gauche tente de se tailler un espace sur l'échiquier politique québécois. Une fois de plus, elle justifie son ambition par les carences des partis existants et, plus précisément, par le fait que l'omniprésence des partis de droite ou de centre-droit prive une certaine proportion de l'électorat du véhicule politique dont elle aurait besoin. Jusqu'à maintenant, chaque naissance d'un parti de gauche a été rapidement suivie de son décès ou du moins de son entrée en catalepsie. Voilà qui force à demander si le Rassemblement pour l'alternative progressiste (RAP) fera mieux.

Que le besoin d'un parti de gauche sur la scène québécoise se fasse sentir, seuls en douteront ceux qui déjà sont incrustés à droite. Cela comprend cependant beaucoup de monde, depuis les peu exigeants libéraux de Jean Charest jusqu'aux tranquilles détenteurs de la vérité qui règnent au Parti québécois en passant par les fidèles de l'erratique Action démocratique de Mario Dumont. Dans ces divers partis de droite, on aime s'abandonner à un syllogisme rassurant : la gauche ne correspond à aucun besoin québécois puisque cette tendance ne suscite aucune ferveur au Québec et que le population ne s'en porte pas plus mal. Plus modestes ou plus lucides, ces milieux auraient retenu quelque chose de la présence de 60 000 personnes lors de la manifestation anti-mondialisation du Sommet des Amériques et de l'élection complémentaire de Montréal-Mercier. Dans les deux cas, l'idéologie dominante a pris du plomb dans l'aile.

Car le besoin d'un parti de gauche est là. Le Québec, par exemple, s'est offusqué de ne pouvoir s'exprimer au Sommet des Amériques, mais qu'avait-il à dire de différent? En l'absence de toute solidarité avec les plus vulnérables, mais en parfaite symbiose avec les conglomérats, le gouvernement du Québec aurait approuvé la création de la Zone de libre échange des Amériques (ZLÉA) avec autant de ferveur et de servilité que Jean Chrétien. Pas plus qu'au moment des ententes précédentes liant le Canada aux États-Unis d'abord, puis au Mexique, le Québec n'a senti le besoin de consulter la population ou de donner un contenu à la fumeuse exception culturelle. Un parti de gauche aurait au moins essayé de faire comprendre qu'il est aussi indécent de bénir le libre-échange sans consultation populaire que de rompre le lien fédéral sans l'aval des citoyens. Et l'on aurait songé à dresser un bilan du libre-échange déjà en vigueur avant de passer à de nouveaux nivellements.

On se trompe d'ailleurs, dans les hautes sphères du gouvernement québécois, si l'on croit renouer avec les sources originelles du projet péquiste sous prétexte qu'on évoque plus souvent la souveraineté. Le Parti québécois, tel qu'il est né, liait deux objectifs : la souveraineté, certes, mais aussi la démocratisation en profondeur de la société québécoise. L'indépendance, oui, mais aussi un alignement en faveur de la transparence, de la participation, de la social-démocratie. Une expression revenait de façon récurrente dans le discours péquiste : le préjugé favorable aux travailleurs. En pactisant avec Davos plutôt qu'avec l'éducation primaire et secondaire, en ne voyant rien d'antidémocratique dans la plus extrême concentration de la presse ni dans des fusions municipales mal expliquées et cavalièrement imposées, le Parti québécois ne renoue certes pas avec ses véritables racines. Le centre-gauche, dont le Parti québécois de René Lévesque savait se faire assez souvent le porte-parole, est réduit au silence par l'embourgeoisement péquiste. Le débat public s'en trouve stérilisé et nous y perdons tous, que l'on penche, après débat, vers la droite ou vers la gauche.

Encore faut-il, pour que sa résurgence ne constitue pas un aller simple et rapide vers le cimetière, que la gauche québécoise attire des fées utiles autour de son berceau. L'idée d'un rassemblement qui rappelle la stratégie enveloppante de la « gauche plurielle » en France ne manque pas de mérite, car la gauche québécoise, anémiée par un long silence, a grand besoin de sympathies multiples. Cet accueil généreux de toutes les tendances est réaliste, mais il comporte cependant des risques. Par exemple, la complicité qui se noue entre le Parti communiste et les Verts risque de placer sur le même pied un groupuscule et une tendance lourde, de projeter dans le public l'image d'une intransigeance dépassée plutôt que l'espoir d'une société plus conviviale et presque libertaire. D'autre part, la renaissance de la gauche doit s'accompagner d'un réel renouvellement des générations, des perspectives et des ténors. On n'en voudra pas aux vétérans de participer à l'effort, car ils ont longuement tenu le flambeau, mais le temps est révolu du style démagogique et populacier qui convenait (?) au temps de Réal Caouette. Certains devraient se demander si leur persistance dans le décor politique nuit ou aide.

À la lumière de ce qui s'est passé dans Montréal-Mercier, on reprochera évidemment au RAP de se comporter en allié objectif du Parti libéral de Jean Charest. Il est manifeste, en effet, que le RAP ne réduira guère la cohorte libérale, mais qu'il peut priver le Parti québécois de certains de ses adeptes. On entendra donc des appels à l'unité semblables à ceux qui, dans l'affrontement serré entre Al Gore et George W. Bush, demandaient à Ralph Nader de ne pas diviser le vote démocrate. D'avance, il faut se blinder contre de tels reproches. Certes, le vide et la stérilité dans lesquels se complaît le Parti libéral de Jean Charest rendent bien antipathique l'idée de récompenser par la victoire électorale des gens qui ne proposent rien, mais ce n'est pas en tentant de culpabiliser le RAP qu'on corrigera la dérive du Parti québécois. Au Parti québécois de mesurer son risque et de s'ajuster.

Le rééquilibrage de l'échiquier politique québécois serait une très bonne nouvelle. Reste à passer du rêve au plausible.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010614.html

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