Dixit Laurent Laplante, édition du 11 juin 2001

Un deuxième souffle démocratique?
par Laurent Laplante

Il fut un temps, pas si lointain d'ailleurs, où les moeurs électorales québécoises provoquaient au mieux la rigolade, au pire le mépris. D'autres collectivités recouraient à des tricheries de taille et de retombées comparables, mais elles ne les étalaient pas sur la place publique avec la truculence québécoise. Le Québec s'est amendé depuis et s'il y a encore matière à rigolade et à mépris dans l'auscultation des moeurs électorales, c'est surtout en dehors du Québec qu'on la trouve. La réforme québécoise a mérité et reçu des éloges. Elle n'est pourtant pas achevée et la décision prise par le premier ministre Bernard Landry de ne pas déclencher un scrutin à l'automne le montre bien. Reste à savoir si le gouvernement péquiste et les partis d'opposition ressentent suffisamment le besoin d'un nouvel assainissement du cadre électoral.

Apprécions à la fois la portée et les limites de la déclaration de M. Landry. En tuant dans l'oeuf les scénarios d'élections brusquées, le premier ministre québécois a réaffirmé que le choix de la date des élections fait partie de ses privilèges, mais il a greffé à ce rappel un engagement d'une transparence étonnante et inédite : il n'y aura pas de scrutin à court terme. Séduisante transparence qui, cependant, ne saurait remplacer l'abolition du privilège évoqué par M. Landry.

Il serait fastidieux d'ergoter sur les raisons qui ont conduit M. Landry à ce geste. Qu'il veuille laisser à la réforme municipale toutes les chances de retenir l'attention des médias et du public, c'est possible, mais pas très convaincant. Que M. Landry veuille se donner plus de temps pour se démarquer de son prédécesseur - songeons aux enfants de Duplessis, à l'affaire Michaud, au retour du bureau du premier ministre dans son ancien décor, etc. -, cela se loge mieux dans l'éventail des hypothèses plausibles. L'important n'est pas là, car les premiers ministres, aux deux paliers de la politique canadienne, ont rarement justifié à fond leur préférence pour telle ou telle date de scrutin.

L'important, c'est que M. Landry ait reconnu qu'il s'agit d'un privilège et, surtout, qu'il en ait en toute liberté réduit le côté exorbitant. Qu'un premier ministre ait le pouvoir de fixer à son gré et selon ses ambitions l'échéance électorale, c'est, en effet, contraire à l'esprit de la démocratie. Car ce pouvoir accorde au parti gouvernemental un avantage sur ses adversaires. Il peut, lui et lui seul, planifier à coup sûr, accélérer ou retarder la préparation de l'opinion, intégrer ou pas l'actualité immédiate dans le choix de ses slogans, de son programme, de ses candidats vedettes. Les partis d'opposition auront beau se dire toujours prêts à foncer dans la bataille électorale, il reste qu'ils vivent dans l'incertitude, dans la comparaison des hypothèses, dans les risques de prévisions erronées. Une démocratie digne de ce nom tient ses scrutins à date fixe et place ainsi les différents partis sur un pied d'égalité.

M. Landry a donc parcouru la moitié du chemin, mais une moitié seulement. Il a, de lui-même, et c'est tout à son honneur, éliminé certaines des hypothèses que les partis d'opposition devaient jusque-là inclure dans leurs calculs. Il reste maintenant à M. Landry et à l'ensemble de la classe politique à remettre en question le privilège lui-même.

Bien sûr, on criera au masochisme. Pourquoi, dira-t-on, faudrait-il se priver d'une arme dont tout parti gouvernemental peut tirer avantage? En déclenchant prématurément les élections fédérales l'an dernier, le premier ministre Chrétien n'a-t-il pas rentablement bousculé le calendrier de l'Alliance canadienne et pris Joe Clark à contre-pied? Vrai, mais ce qui est ici en cause, ce n'est pas l'efficacité de la méthode, mais sa moralité. Si le pouvoir est le seul objectif, mieux vaudrait pour tout parti gouvernemental recourir aux caisses électorales occultes, tripoter les listes électorales comme au bon vieux temps, modeler les circonscriptions à partir de considérations partisanes, abolir le poste de Directeur général des élections ou le politiser à outrance, etc. Ce serait efficace, mais déshonorant. Ce n'est d'ailleurs pas la recherche du pouvoir à tout prix qui a conduit les gouvernements québécois issus de la révolution tranquille à épurer les règles électorales. On ne devrait donc pas attendre, avant de passer à une nouvelle phase de la réforme, que les changements garantissent au pouvoir de conserver le pouvoir.

L'élection à date statutaire n'est d'ailleurs pas le seul changement dont pourrait s'honorer notre classe politique d'aujourd'hui. L'Assemblée nationale, telle qu'elle est composée présentement, souffre, qu'elle en perde le sommeil ou non, de graves distorsions au chapitre de la représentativité. Le parti qui a reçu le plus grand nombre de votes siège sur les banquettes de l'opposition. Le parti qui s'est classé au deuxième rang quant au suffrage universel gouverne le Québec. L'Action démocratique, pourtant lourde d'un demi-million de bulletins de vote, n'a toujours qu'un seul député à l'Assemblée nationale. Cela n'est certes pas sans précédent, mais ce qui est banal ne devient pas légitime pour autant. Là aussi, des démocrates doivent trouver matière à réflexion et, le plus tôt possible, matière à redressement.

Deux remarques à l'intention de ceux qui seraient tentés d'entonner les antiennes sur « les risques de déstablisation » ou, plus cyniquement, sur « les élections qui ne se gagnent pas avec des prières ». La première, c'est que les élections à date fixe sont la règle dans bien des pays qui ne changent pas de gouvernants de façon hebdomadaire, à commencer par les États-Unis et la France. La seconde, c'est que le Québec, au temps de Robert Burns, s'est sérieusement documenté sur les avantages et les inconvénients du scrutin proportionnel et sur les différents types de scrutin proportionnel pondéré. Si sérieusement que le Parti québécois avait inscrit un tel mode de scrutin dans son programme électoral. Comme il arrive que la victoire rende amnésique, le Parti québécois a oublié par la suite de procéder à cette réforme.

Si M. Landry, qui a eu l'élégance de restreindre quelque peu son privilège de premier ministre, décidait de placer ses pas dans les traces du réformateur que fut à cet égard René Lévesque, il n'aurait donc pas à explorer un terrain vierge.

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