Dixit Laurent Laplante, édition du 30 avril 2001

Cent jours sous George W. Bush
par Laurent Laplante

À en croire les entrevues accordées à divers grands médias américains, George W. Bush aime beaucoup son nouveau métier de président des États-Unis. Il n'en va pas nécessairement ainsi pour tous ceux, et ils sont légion, qui voient se préciser assez rapidement les lignes de force de la nouvelle présidence républicaine et qui, du coup, apprennent à la décoder. Si, dans certains cas, on observe une certaine retenue dans l'affirmation américaine, trop des décisions arrêtées la révèlent nombriliste et belliqueuse.

L'administration Bush a choisi de traiter l'environnement comme quantité négligeable. Ceux qui reprochaient à Ronald Reagan de tergiverser avec cynisme en requérant constamment de nouvelles vérifications à propos des précipitations acides constatent que George Bush a substitué la dénégation à l'hésitation. Reagan faisait semblant de douter de la nocivité des précipitations acides en provenance des États-Unis; George Bush décide que, de toutes manières, peu lui importe. Il dispense donc l'industrie américaine des normes plus sévères qui pourraient la civiliser et renie la signature américaine sur le protocole de Kyoto. Politique égoïste et qui rend impossible une indispensable prudence planétaire.

En ce qui touche à la révision du système électoral américain dont la nécessité a été mise en lumière lors du dernier scrutin, George Bush manifeste une paisible amnésie. À croire que sa propre élection a purifié le système de ses imperfections et qu'on peut maintenir les Grands-Électeurs en place, laisser chaque État compter ou ne pas compter les bulletins de vote et laisser en l'état les colossales caisses occultes qui font du président américain et des autres élus les débiteurs de la grande entreprise. Cette perpétuation de l'indéfendable n'empêche pourtant pas George Bush, on l'aura constaté au Sommet des Amériques, de donner des leçons de démocratie à l'humanité entière.

Peut-être parce qu'il connaît moins bien la Chine, le Japon et l'Europe que la rentabilité du pétrole, George Bush définit de façon moins matamore la politique étrangère de son empire. L'atterrissage forcé d'un avion espion américain en territoire chinois a permis à Washington et à Beijing de s'accorder, en boxeurs prudents, une ou deux rondes de danse et d'observation. L'équipage a été rapidement ramené en zone américaine, ce qui calmait l'opinion et les médias qui aiment gagner des guerres, mais n'acceptent plus d'en payer le prix en vies états-uniennes. En revanche, la Chine n'a pas eu droit à la rage américaine lorsqu'elle s'est accordé le temps de « confesser » l'avion espion et d'en extirper les secrets. Calme et pondération des deux côtés pendant cette première ronde.

La vente d'armes américaines à Taïwan fournit et fournira aux deux mêmes puissances l'occasion de se jauger de façon plus précise. Washington vend à Taïwan d'énormes quantités d'armes, mais pas celles qui, dès leur arrivée dans l'île, rendraient impossible une attaque de Beijing contre sa « province dissidente ». Les États-Unis mécontentent Beijing, mais ne l'humilient pas. Beijing conserve le droit de rêver à la reconquête de Taïwan, mais comprend que Bush se réserve de compléter la vente d'armes à Taïwan si la Chine continentale devient conquérante. La demi-mesure américaine, en plus d'être rentable pour une industrie militaire qui pollue la planète, place l'administration Bush dans le confortable fauteuil de l'arbitre. Assez belle manoeuvre des USA.

Quant au reste des relations internationales, les cent premiers jours de l'administration ne réjouissent que par certains flottements. Ce qui est tranché inquiète; ce qui ne l'est pas encore permet aussi bien la crainte que l'espoir. Tout indique, par exemple, que les États-Unis vont investir massivement dans leur projet de bouclier antimissiles et provoquer ainsi une nouvelle course aux armements. Sur ce front, l'espoir se situe non pas dans la possibilité d'une volte-face américaine, mais dans les obstacles techniques qui peuvent garder longtemps le projet à l'état de chimère.

Rien n'annonce non plus un retour américain au sens commun dans les relations avec Cuba ou avec l'Irak. George Bush et Colin Powell accordent même plus d'importance à Saddam Hussein qu'à l'apaisement du conflit israélo-palestinien. Un tel entêtement n'a rien de rationnel et constitue même un déshonneur pour la superpuissance américaine. En revanche, le changement de perspective est patent à l'égard de la Russie. De façon presque explicite, Washington prend acte de la dégénérescence russe. On sait Moscou incapable de contrôler ses mafias, incapable d'assainir même minimalement ses finances, incapable de concurrencer les États-Unis dans une course aux armements, et l'on tire la conclusion : laissons Poutine s'enliser dans ses problèmes financiers et militaires et préoccupons-nous plutôt de la Chine, de l'Inde, de l'Indonésie... Tout cela témoignerait peut-être d'un sain réalisme si le ton le plus souvent employé par George Bush et Colin Powell n'était pas aussi fréquemment celui de l'arrogance invincible et de la provocation.

On aimerait inscrire parmi les motifs de franches réjouissances la fermeté avec laquelle Colin Powell a réprimandé le va-t-en-guerre Ariel Sharon. Le geste est cependant si isolé et si équivoque qu'il est prudent d'attendre. En un sens, Colin Powell s'est adressé à la Syrie plus qu'à Israël. La Syrie l'a compris qui a remis à plus tard les représailles qu'elle aurait pu oser. Israël, cible apparente, mais seulement apparente, des reproches de Colin Powell, s'en tire avec tout juste un rappel à l'ordre. La réprimande, qui peut faire rougir un instant la joue d'Ariel Sharon, n'oblige quand même pas Israël à réparer les dommages causés, ni à mettre fin au bouclage des territoires palestiniens, ni à freiner l'expansion provocatrice des colonies juives, ni à restituer à Yasser Arafat les sommes qui lui appartiennent... Croire, sur la foi du ton choisi par Colin Powell pour admonester Israël, que les États-Unis vont mieux traiter les Palestiniens ou qu'ils puissent permettre à l'ONU d'interposer enfin des casques bleus entre l'armée israélienne et les Palestiniens, voilà qui, hélas! appartient au monde du rêve. Colin Powell a quand même fourni là un nouvel exemple d'habileté stratégique (et trompeuse).

En somme, cent jours qui justifient la méfiance, mais qui empêchent d'accuser la nouvelle administration d'amateurisme grossier. Faudra-t-il se contenter d'aussi peu?

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