Dixit Laurent Laplante, édition du 15 mars 2001

Le beau risque des symboles
par Laurent Laplante

Quand René Lévesque osa, à une époque qui semble terriblement étrangère à nos mémoires myopes, proposer à son parti et aux Québécois le beau risque d'un « bout de route commun » avec le gouvernement Mulroney, les protestations ne manquèrent pas. Ce n'était pas un risque qui était proposé, mais une trahison. Quand il se trouve aujourd'hui des militants rouge bon teint pour proposer au Parti libéral du Québec de se réapproprier les symboles du nationalisme québécois, des réticences au moins aussi fortes se font jour. Comme si, au pays du Québec, comme au temps de Maria Chapdelaine, rien ne devait changer, ni même se discuter. Ni au sein du Parti québécois ni dans les rangs libéraux.

Ceux qui, parmi les libéraux québécois, ont suggéré à leur parti de se réapproprier les symboles que s'est donnés la nation québécoise contribueront pourtant, pour peu qu'ils obtiennent un minimum d'espace, à renouveler une vie politique qui en a grandement besoin. Tout comme certains de ceux qui espèrent un Québec souverain feront progresser leur pays en même temps que leur cause s'ils cessent de croire qu'il n'est de bons Québécois que péquistes ou francophones. Le Parti libéral du Québec manque d'assises et de légitimité dans l'électorat francophone parce qu'il se conduit en porte-parole régional des thèses fédérales. Le Parti québécois stagne et plafonne parce qu'il ne parvient pas à faire partager ses aspirations à ceux qui ne parlent pas français et à ceux qui n'ont pas appris l'histoire du Québec à la table familiale. Dans les deux cas, il y a risque de ghettoïsation et d'enfermement.

L'initiative de ces militants libéraux se justifie autant sur le terrain des principes que par sa lucidité stratégique. Pas plus que l'indépendance d'un peuple ne peut se réaliser contre les volontés de sa bourgeoisie, la victoire politique n'est pensable sans l'apport de symboles moteurs. Or, le Parti libéral du Québec est en « carence symbolique » depuis plus de vingt ans. Le drapeau québécois? On dirait qu'il est passé des mains de René Chaloult et de Maurice Duplessis à celles du RIN, du MSA ou des Chevaliers de l'indépendance. Le bleu fleurdelisé porte un rêve, le rouge libéral, pragmatique et équivoque, exprime une parenté de pensée avec le grand frère fédéral. En leur temps, Robert Bourassa, Paul Desrochers et Charles Denis ont pensé, bien à tort, qu'Hydro-Québec pouvait à la fois constituer un substitut au rêve et financer le Québec. Ils ne parviendront, en bonne partie parce qu'Hydro-Québec préfère son État à l'État québécois, ni à transformer les turbines en symboles attirants ni à faire d'Hydro-Québec l'incubateur d'une gestion socialement différente. Cet essai mis à part, le Parti libéral du Québec, depuis vingt-cinq ans, a fait confiance aux chiffres plus qu'aux symboles, aux indicateurs quantitatifs plus qu'aux aspirations civiques et sociales. Comme ils étaient eux-mêmes en panne de foi, les gouvernements libéraux de Robert Bourassa et Daniel Johnson ont sous-estimé la fierté québécoise et ont scrupuleusement ignoré les occasions d'élargir la marge de manœuvre québécoise.

Au cours du dernier quart de siècle, le Parti québécois a fait le contraire, avec des résultats souvent aussi frustrants. Certaines de ses outrances remontent au début de son essor. C'est, par exemple, contre le gré de René Lévesque que le parti issu du RIN, du RN, du MSA s'est permis de se baptiser Parti québécois. Lévesque avait d'emblée compris qu'il y avait là outrance, usurpation, négation de la démocratie. Aucun parti n'est plus québécois que l'autre. L'affirmer, c'est dire à ceux qui campent sous un autre étendard partisan qu'ils ne sont pas tout à fait Québécois. Qu'on ne se surprenne pas si tant de Néo-Québécois ont compris le message. Certains symboles, dont celui-là, appartiennent à tous et aucune formation partisane ne devrait se l'approprier. Pas plus que le drapeau, pas plus que la fête de la Saint-Jean.

Pendant vingt-cinq ans, le Parti libéral du Québec a trop fréquenté les brasseurs d'affaires pour savoir qu'un peuple sans symbole est, pour parodier Patrice de la Tour du Pin, un peuple déjà mort. Pendant le même quart de siècle, le Parti québécois a fait des symboles québécois un usage qui les désacralise. Le Parti libéral comprend aujourd'hui (peut-être) qu'il ne séduira pas l'électorat francophone sans renouer avec ses symboles; le Parti québécois devrait voir dans son plafonnement électoral la preuve qu'on ne peut pas réserver l'imaginaire des symboles nationaux à seulement une partie de la population.

Des révisions déchirantes sont donc nécessaires chez les péquistes comme chez les libéraux. D'eux-mêmes, certains libéraux ont compris, et c'est tout à leur honneur, la nécessité de dire tout haut que les symboles nationaux appartiennent à tous les Québécois. Du côté du Parti québécois, on devrait profiter de l'accession de Bernard Landry au poste de premier ministre pour procéder à la réflexion et aux ajustements qu'exige un contexte mouvant.

Les résistances, malheureusement, risquent d'être abruptes dans les deux camps. M. Landry fait partie depuis si longtemps du sérail péquiste qu'il ne lui sera pas facile de modifier sa façon de voir ni d'infléchir la trajectoire du parti. Et le Parti québécois a été trop heureux de faire l'économie d'un débat à l'occasion de la passation des pouvoirs pour exiger de son roi couronné les révisions pourtant indispensables. Jean Charest, de son côté, préférera lui aussi s'épargner le « beau risque des symboles ». Il est trop mal à l'aise avec les déroutants concepts que sont pour lui les notions de peuple, de nation, de patrie pour improviser un discours cohérent sur ces thèmes. M. Charest, en outre, doit compter avec l'antipathie qu'un bon nombre de ses partisans professe depuis toujours, un peu à cause des excès péquistes, pour la symbolique québécoise. Plusieurs d'entre eux, en tout cas, ont si fermement adhéré aux symboles canadiens qu'ils n'ont plus de fierté disponible pour en investir ailleurs.

Que le plaidoyer en faveur des symboles québécois vienne du parti qui a enfanté la Révolution tranquille montre, en tout cas, de stimulante façon, que rien, la fierté moins que tout, n'est jamais perdu ou gagné de façon irrévocable.

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010315.html

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