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Dixit Laurent Laplante
Paris, le 19 février 2001

Discours public et moralité

L'actualité offre chaque jour à la réflexion des faits épars, mais que chacun peut, à ses risques, rattacher à un même enjeu. L'exercice est périlleux, car il doit beaucoup aux biais de l'analyste, à ce que les psychologues décriraient comme une projection. Il est quand même légitime, car il peut révéler le jeu des mêmes tendances lourdes dans des événements distincts. Essayons la chose en examinant quelques événements sous l'angle de la moralité : l'élection du maire de Paris, un discours de l'ex-président Clinton, la dérive des travaillistes israéliens et le rapport du comité d'aide au développement de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économique).

À peu près impénétrable et inintelligible pour quiconque n'est pas né Français, le système politique de l'Hexagone semble, cette fois-ci, mystifier les spécialistes français eux-mêmes. Les méandres auxquels s'abandonne la lutte pour la possession de la mairie de Paris sont tels, en effet, qu'on ne sait plus qui représente la droite, quels partis appuient tel candidat, ni même si un président issu de la droite, Jacques Chirac, peut participer à la campagne autrement que par l'intermédiaire de son épouse. Selon le résultat, chacun aura tout loisir de se féliciter ou de blâmer autrui, tant il est vrai que le succès a beaucoup de géniteurs et que l'erreur est orpheline.

Avec la prudence qui convient, l'observateur de l'extérieur est tenté de voir dans cet imbroglio l'action déstabilisante d'une certaine liberté. Philippe Séguin défend les couleurs de la droite, mais il refuse farouchement de s'allier à l'équipe du maire actuel de Paris, Jean Tibéri, qui porte le même drapeau que lui (ou presque). Le calcul de Séguin, dont on aimerait être certain qu'il n'en cache pas d'autres, semble le suivant : il ne veut rien devoir à Tiberi, car une victoire en sa compagnie garderait Paris dans les habitudes de copinage, de népotisme et de tractations douteuses cultivées par le clan Tibéri. Moralité pure et parfaite de Philippe Séguin? L'hypothèse est séduisante. Et indémontrable.

Aux États-Unis, la carrière de l'ex-président Clinton comme conférencier de haut vol débute dans la controverse. Le président de Morgan Stanley, Philip Purcell, grâce à qui Bill Clinton a prononcé une conférence sur les obligations à haut rendement (!), a reçu tant de protestations et de menaces de ses clients qu'il a renoncé à défendre son choix et qu'il a plutôt présenté ses excuses. Le déclencheur de cette campagne vertueuse et tardive? Le pardon présidentiel accordé discrètement et à minuit moins une par Bill Clinton au milliardaire Marc Rich que le fisc américain considère comme son ennemi public numéro un et qui a jugé prudent de s'expatrier en Suisse. Comme par hasard, Rich avait contribué aux campagnes électorales des époux Clinton. Plutôt gênant. Moralité pure et parfaite de la part des clients qui confient 500 milliards à Morgan Stanley? Reproches motivés par le désir de complaire à la nouvelle administration américaine? Comment savoir? Ce qui est certain, en revanche, c'est que les comportements amoraux de Bill Clinton lui valent aujourd'hui les reproches de censeurs bien inattendus.

En Israël, les contorsions du leader travailliste Ehoud Barak ne trouvent guère d'admirateurs et surtout pas au sein de son propre parti. À première vue, pourtant, on devrait se réjouir si une coalition des deux partis majeurs réduit l'influence des partis les plus intransigeants et les plus belliqueux. Le problème naît de ce que Barak contredit par ses tractations les déclarations faites au lendemain de sa défaite. Il blâmait le peuple de ne pas l'avoir compris, il rentrait sous sa tente, il invitait les travaillistes à se trouver un autre chef. À peine formulées, ces déclarations trouvent leur démenti dans les rencontres entre Barak et Sharon et dans le rapide rapprochement des deux hommes. Moralité pure et parfaite de Barak? Recherche de la paix au point de se dédire humblement? Le doute est certainement permis. Ce doute risque de devenir une certitude si, au lendemain d'un pacte entre Sharon et Barak, il s'avère que l'armée, d'accord avec Sharon, impose ses règles encore plus qu'elle ne le fait présentement. En plus de bafouer la morale, Barak aurait alors péché par naïveté.

Autre événement à intégrer à ce survol, le rapport du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. Une fois encore, on constate que l'objectif de consacrer à l'aide internationale 0,70 % du produit intérieur brut n'est atteint par personne, même dans une conjoncture où plusieurs pays, dont le nôtre, nagent dans les surplus. Même la France, qui contribuait à hauteur de 0,60 % en 1994, diminue son apport d'année en année. Il n'était plus, selon de CAD, que de 0,39 % en 1999. Seul le Japon suit la pente inverse et accroît sa contribution.

Une fois encore, on constate que l'Afrique, particulièrement celle qui végète au sud du Maghreb, bénéficie de moins en moins de l'aide internationale. En dix ans, l'aide internationale a diminué du tiers, passant de 18 milliards à 12 milliards. Résultat tragique, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans demeure un objet de scandale : 80 naissances sur 1000 en 1999, dit pudiquement la statistique, ce qui signifie, en termes plus brutaux, que huit enfants sur cent meurent avant leur cinquième anniversaire. Et les chiffres sur l'aide au développement ne précisent pas, même si cela serait éclairant, qui détermine les modalités de l'aide ni à qui l'aide profite en priorité. Moralité pure et parfaite des pouvoirs qui préconisent la mondialisation et qui se dédouanent en « investissant dans l'aide »? Moralité pure et parfaite des « Team Canada » qui ne sauraient peut-être pas situer l'Afrique sur une carte? Doutons-en.

Notre époque n'aime pas, et elle a raison, qu'on impute aux gens de vilains motifs. Pourrait-elle suffisamment valoriser la transparence pour que les vrais motifs soient démontrables?

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