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Dixit Laurent Laplante
Paris, le 15 janvier 2001

Une décision et ses comparables

Il faut s'incliner avec respect devant la décision du premier ministre Lucien Bouchard de quitter son poste. Cette décision est, en effet, la sienne et les pressions qui se sont exercées sur lui visaient non pas à la consolider ou à la précipiter, mais à la renverser. De lui-même, M. Bouchard identifie deux séries d'explications à l'appui de son geste. Les unes sont d'ordre strictement privé et interdisent la moindre contestation. Les autres, en revanche, résultent d'une analyse à portée sociale et politique et autorisent la discussion.

À ce moment-ci, il importe d'abord de prendre le temps de dire merci à M. Bouchard. Ce n'est que dans un deuxième temps que peut s'effectuer légitimement et décemment un examen des propos de M. Bouchard sur la société québécoise et sur l'avenir de la thèse souverainiste. On pourra alors comparer la décision de M. Bouchard à celles qu'ont prises avant lui d'autres chefs péquistes, MM. Lévesque et Parizeau en particulier.

Tout parallèle entre les départs de MM. Parizeau et Bouchard met en évidence un paradoxe. Pour des motifs différents, presque opposés, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard ont mené des réflexions comparables et en sont arrivés à la même conclusion. L'un et l'autre quittent leur poste parce qu'ils estiment ne pas être en mesure de faire davantage pour la souveraineté du Québec. Tous deux se heurtent à des limites; chacun identifie les siennes. M. Parizeau impute ouvertement le plafonnement de la thèse indépendantiste à la résistance de certaines composantes de la société québécoise et il quitte parce qu'il ne voit pas comment il pourrait la surmonter. M. Bouchard fait une place importante, parmi les raisons publiques de son départ, aux difficultés rencontrées à l'intérieur même du mouvement souverainiste et aux remous suscités par l'affaire Michaud. M. Parizeau pointait du doigt des adversaires politiques et des groupes réfractaires au thème de l'indépendance; M. Bouchard est tenté d'identifier les alliés dont il se serait passé. L'analyse conduit au même corollaire dans les deux cas, mais les deux hommes ne semblent pas parler du même parti. M. Parizeau s'accommodait du sien; M. Bouchard a vécu une autre expérience.

Un autre parallèle, en forme de paradoxe lui aussi, peut s'avérer éclairant. Il placerait René Lévesque face à Lucien Bouchard et comparerait les réactions des deux hommes face à un Parti québécois tenaillé à deux moments différents de sa trajectoire par la tentation du radicalisme. M. Lévesque, en son temps, prit son parti de front pour le forcer à respecter à fond les valeurs démocratiques. Il préférait quitter, disait-il, que d'avoir à défendre l'indéfendable. À certains égards, et c'est tout à son honneur, M. Bouchard rencontre les mêmes difficultés et sert les mêmes mises en garde à ses troupes. Si le Parti québécois se referme sur lui-même et prétend culpabiliser certaines communautés ethniques, lui ne pourra pas, comme premier ministre et chef de ce parti, se regarder dans le miroir. Il partira, tout comme René Lévesque avait menacé de le faire.

MM. Lévesque et Bouchard se sont-ils donc heurtés tous deux au même sectarisme et se sont-ils tous deux dressés contre ce qui, dans le Parti québécois, menaçait les droits universels? Ce n'est pas si simple.

Qu'il soit permis, en tout cas, de faire état des différences entre les deux situations. Ce qu'affrontait René Lévesque appartenait au monde de l'explicite et du frontal. Une cohorte était là, organisée, militante, brandissant les slogans. On s'exprimait dans le cadre de congrès officiels du parti, on défendait au micro des propositions destinées à des votes formels, on faisait directement pression sur le Parti québécois, on prétendait amender son programme. Ce qu'affrontait récemment M. Bouchard ne rejoignait que de façon bien lointaine le programme du Parti québécois et du gouvernement péquiste. M. Michaud ne s'adressait pas au Parti québécois, mais à une commission consacrée à la langue et dirigée par M. Gérald Larose. M. Michaud n'avait aucun moyen de faire insérer des propositions malséantes dans le programme du Parti québécois. M. Lévesque ne pouvait pas laisser passer ce qu'on tentait d'inclure dans le programme de son parti; M. Bouchard ne faisait pas face à la même urgence. M. Lévesque faisait face à un risque visible, immédiat, explicite; M. Bouchard avait à juger un dérapage appréhendé. M. Lévesque s'est rendu au micro pour y pourfendre la gogauche; M. Bouchard a mis à contribution l'Assemblée nationale. Situations peut-être comparables, par conséquent, mais pas identiques.

Si cette différence entre les deux défis lancés à MM. Lévesque et Bouchard apparaît réelle, le Parti québécois aura avantage à réfléchir au profil type de son prochain chef. Il a eu en M. Bouchard un chef redouté des adversaires et capable de mobiliser l'électorat jusqu'à un doigt de la victoire. Mais le Parti québécois aura peut-être trop misé sur le charisme du chef et négligé coûteusement le travail au ras du sol. Une centralisation en a résulté qui laissait tout l'espace au chef et qui invalidait d'avance toute contestation. Quand celle-ci est venue malgré tout, la machine péquiste n'avait plus la souplesse qu'il aurait fallu pour l'encaisser, l'amortir, la canaliser. Comme il est douteux qu'émerge dans l'immédiat un chef de gabarit comparable à M. Bouchard, c'est probablement parmi les rassembleurs et les gens de terrain qu'il faudra chercher le remplaçant.

Qu'on ne s'y trompe pas, cependant. Le courant idéologique qui a causé problème à M. Bouchard n'est pas le seul qui veuille maintenant recouvrer son droit de parole. Un autre existe, latent peut-être, mais perceptible : celui qui voudrait retrouver dans le Parti québécois quelque chose de son préjugé favorable aux démunis. Les vedettes du Parti québécois, usées par le pouvoir, ont raison de se féliciter de leur victoire contre le déficit, mais bien peu d'entre elles savent retrouver aujourd'hui les accents qui permettaient à l'ancien Parti québécois de faire le plein au centre et au centre gauche de l'échiquier.

M. Bouchard incarnait un style et une époque. On perd son temps à lui chercher un clone. La meilleure façon de le remercier sera sans doute de lui donner un continuateur au style différent.

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