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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 5 janvier 2001

Des questions qui méritent mieux

Sans qu'on puisse s'en étonner le moindrement, au moins un groupe de motards criminalisés avait infiltré la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ). Une taupe, contrainte de collaborer pour compenser des dettes de drogues, remettait à l'organisation criminelle des renseignements personnels et confidentiels sur des policiers. Découverte grâce au travail d'un agent double, la taupe est mise hors jeu. Mais les questions demeurent. Y a-t-il d'autres taupes à la SAAQ? Y en a-t-il dans d'autres services publics ou privés? Que faire pour empêcher une telle infiltration?

Une évidence, d'entrée de jeu, devrait s'imposer : dès qu'existe un réservoir d'informations, la tentation existe de le parasiter. On a tellement répété, en effet, que l'information, c'est le pouvoir, qu'on ne devrait pas rester baba de surprise quand on découvre que l'information attire toutes les ambitions. Les renseignements que vous accumulez avec les meilleures intentions du monde, d'autres voudront les faire servir à des fins dont vous n'avez pas idée. Cela est si patent, si manifeste, si « allant de soi » qu'on supplie les gouvernements, qui comprennent rarement de quoi on parle, de ne pas accumuler imprudemment trop de renseignements sur les citoyens. Eux-mêmes pourraient en abuser; d'autres pourraient s'infiltrer dans les banques de données et mettre l'information au service de fins peu ragoûtantes. Cela devrait être su : l'entreposage de l'information comporte des risques et impose des devoirs.

Une autre évidence court à la rencontre de celle-là : l'efficacité éprouvée de toutes les formes d'intimidation et, plus particulièrement, du « chantage à l'otage ». Là encore, on ne devrait pas avoir à s'éterniser sur la démonstration. La peur d'être battu, blessé, mis à nu sur la place publique, torturé ou tué fait craquer l'immense majorité des humains. Quant à elle, la prise d'otages a peut-être été banalisée par les médias et le cinéma, mais sa récurrence ne lui a rien enlevé de son effroyable efficacité. Du bébé de Lindbergh à l'ocupation de l'ambassade américaine de Téhéran en passant par combien de détournements d'avions, la méthode a fait ses preuves. Prendre un otage, c'est frapper l'autre sous la ceinture. C'est mettre à genoux les plus courageux. C'est soumettre même ceux qui avaient résisté à la torture. C'est menacer les vies les plus chères ou, tout simplement, la vie. Il n'est guère de résistance possible et presque toutes les négociations auxquelles on consent alors ont quelque chose d'avilissant. Quand la prise d'otages frappe, toutes les logiques cèdent devant celle de celui qui tient le couteau sous la gorge. Cela aussi devrait être su, parce que cent fois observé.

Quand un réservoir d'information suscite la convoitise de groupes rompus à l'intimidation et à tous les chantages, il se produit ce que l'on vient de découvrir à la Société d'assurance automobile du Québec. Le même risque, n'en doutons pas, existe aussi souvent que se multiplient les banques de données. La drogue ne circulerait pas dans les prisons et pénitenciers si des informations confidentielles n'avaient pas été dérobées et n'alimentaient pas le chantage sur les personnels ou les fournisseurs. Les rafles policières donneraient des résultats plus probants si l'information qui les concerne n'était pas transmise d'avance aux truands par des gens en possession des renseignements, mais soumis au chantage. La tricherie dans les appels d'offres et toutes les formes d'espionnage industriel seraient moins payantes et moins courantes si les pressions et le chantage ne pouvaient pas compter sur le vol d'informations confidentielles. L'information, c'est le pouvoir; l'information volée, dérobée, extorquée, c'est le pouvoir criminel.

À moins de croire que les gangs criminels sont stupides en plus d'être malhonnêtes, on doit savoir, par conséquent, qu'ils feront tout pour mettre l'information à leur service. On fera chanter la personne qui a accès à l'information. On utilisera l'information pour aviser le policier ou l'agent de la paix qu'on sait à quelle heure sa petite Nicole revient de l'école. On menacera le directeur de caisse populaire ou de banque selon une méthode analogue jusqu'à ce que le blanchiment d'argent se pratique sans sursaut. Qu'il s'agisse du ministère du Revenu, des agences de crédit, d'Hydro-Québec, d'une compagnie de téléphone ou de câblodistribution, la même implacable logique s'applique : on ira chercher l'information par intimidation ou par chantage pour ensuite pratiquer l'imparable chantage à l'otage.

Que faire? Publier la photographie de la taupe et croire que le problème est réglé? Jurer, comme le font les organisations et les syndicats, qu'aucun employé n'a cédé au chantage? Soumettre tout le personnel à des batteries de tests et de vérifications pour identifier les éléments vulnérables au chantage? Il serait illusoire d'attendre grand résultat de ces mesures. Certes, une partie de la solution se trouve au niveau de l'information elle-même. Accumulée de façon moins massive et gérée de manière à identifier plus rigoureusement les curieux qui s'en approchent, l'information comporterait déjà moins de risques. L'essentiel, cependant, est ailleurs : dans le soutien offert aux personnes. Gérer différemment l'ordinateur n'identifiera que les pirates maladroits. Gérer autrement les personnes, savoir que tout humain redoute l'intimidation et que le plus résistant craque si on menace les siens et se montrer attentif aux changements d'humeur et aux signes annonciateurs de détresse, voilà qui priverait les tortionnaires d'une partie de leurs moyens. Si l'employé est laissé à lui-même, si on le surveille par informatique au lieu de lui tendre l'oreille, si la gamme des Programmes d'aide aux employés (PAE) ne s'élargit pas jusqu'à englober ce type de soutien, le risque est grand que notre société ne retire aucune leçon des événements de la SAAQ.


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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie