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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 2 janvier 2001

Quelle est la capacité d'accueil du Québec?

L'affaire Michaud, malgré un certain ralentissement des assauts, continue d'empoisonner l'atmosphère politique. Non pas surtout parce qu'elle fait de nouveau surgir à l'intérieur du courant souverainiste les tensions que subit tout mouvement idéologique, mais parce qu'on ne parvient pas à morceler le litige en segments intelligibles et gérables. D'autre part, les appels au calme qui se multiplient comportent, même s'ils sont souhaitables, leur part d'effets pervers. Le risque grandit, en effet, que des pacificateurs interviennent et répandent une paix factice sur des questions que le Québec devrait enfin affronter. Cela épargnerait des douleurs au Parti québécois, mais cela empêcherait le Québec de s'interroger enfin de façon globale sur sa capacité d'accueil. Ce serait dommage.

Ce qui concerne le vote de blâme rendu de façon unanime par l'Assemblée nationale est en voie de clarification. Même dans les rangs de ceux dont M. Michaud a hérissé le poil, il s'en trouve désormais beaucoup pour déplorer qu'on ait eu recours à une force excessive. Certains parviennent à ce verdict en constatant que plusieurs députés n'ont blâmé M. Michaud que parce que la discipline de parti le leur imposait. D'autres s'étonnent de la sévérité avec laquelle on a frappé M. Michaud alors que tant de propos plus scandaleux ne provoquent aucune réaction parlementaire. On ose espérer, même si la présente Assemblée nationale a tendance à mal mesurer la portée de ses gestes, que les unanimités inutiles et téléguidées seront désormais plus lentes à se coaguler. Ne nous faisons quand même pas illusion, car l'Assemblée nationale qui vient de déraper à propos de M. Michaud n'avait pas montré plus de retenue à propos du journaliste André Pratte et de son syndrôme de Pinocchio. Au moment de l'adoption des mesures de guerre, en 1970, la Chambre des communes n'avait pas fait mieux, même si elle pouvait compter sur quelques vieux sages néo-démocrates dont on ne trouve pas l'équivalent à Québec aujourd'hui. Que l'horizon se nettoie de ce côté, c'est quand même heureux.

En revanche, le temps qui passe ne nous rapproche pas, bien au contraire, d'une interprétation correcte des propos de M. Michaud. Le ton adopté par le premier ministre lui-même, mais aussi par des hommes comme MM. Bernard Landry et Pierre-Marc Johnson, brouille la discussion au lieu de la clarifier. Et cela, de diverses manières. Au moins trois arguments, en effet, servent à l'attaque, mais ils passent tous les trois à côté de la question.

Le premier argument consiste à imputer à M. Michaud des intentions dont il se défend. Dire que l'unanimité d'un vote doit faire l'objet d'une analyse, ce n'est pas dire que des votes valent moins que les autres. Évoquer l'Arménie, le Tibet, le Rwanda, le Kosovo ou la Tchétchénie, ce n'est pas la même chose que de verser dans le révisionnisme à la Le Pen. Détecter de l'antisémitisme dans les thèses de M. Michaud, c'est, au mieux, de la distorsion, au pire, de la projection.

Selon un deuxième argument, les propos tenus par M. Michaud ont le tort inacceptable d'exposer MM. Bouchard, Landry ou Johnson à des questions désagréables lorsqu'ils rencontrent des gens à l'extérieur du Québec ou lorsqu'ils tentent de resserrer les liens entre la francophonie québécoise et d'autres composantes de la réalité québécoise. Comme si la tâche de ces messieurs n'était pas de faire connaître la réalité québécoise et de l'expliquer à quiconque ne la comprend pas. Il aurait fallu, en vertu d'un raisonnement aussi piteux, censurer le général de Gaulle avant qu'il tienne des propos difficiles à expliquer en dehors de nos frontières. Il faudrait également cesser de parler du Québec comme d'une société distincte, car cela est parfois interprété à l'étranger comme une preuve d'arrogance. Il faudrait laisser dire par les ténors du gouvernement central que le courant souverainiste est mort depuis la dernière élection, parce que dire le contraire alimente les interrogations des journalistes de l'étranger. Il faudrait, sur cette lancée, imiter le maire Drapeau qui masquait la pauvreté de certains quartiers pour éviter les feux des caméras couvrant les jeux olympiques de Montréal. Censurer un citoyen parce que ses propos obligent à affronter la réalité et les questions qui en découlent, cela n'a rien d'honorable, ni à Rangoon ni à Québec.

Le troisième argument utilisé ferait rire s'il n'était pas si folklorique. Voilà que MM. Bouchard, Landry et consorts nous fournissent la liste de leurs amis juifs et vantent leurs mérites particuliers, comme si cela avait la moindre pertinence. Ce qui est normal et sain, c'est que, oui, ces messieurs aient des amis, des partenaires, des collaborateurs juifs, mais c'est aussi qu'ils en aient dans toutes les communautés ethniques. Et s'ils vantent à ce point les mérites de leurs amis juifs, on aimerait qu'ils se pourfendent d'aussi beaux éloges au sujet de leurs amis des autres communautés. Après tout, si le sport politique conduit aux pires procès d'intentions, doit-on interpréter les éloges adressés aux juifs comme une forme larvée et hypocrite de mépris à l'égard des autres groupes? Dès lors, à quand l'éloge attendri de la communauté portugaise ou italienne ou grecque? Non, mais soyons sérieux! Ce qui est requis, c'est l'équité pour tous, le respect de tous, la solidarité avec tous, pas l'éloge sélectif et utilitaire d'un groupe en particulier. Il y a même, dans la manoeuvre bizarre qui conduit à se dénicher d'urgence des amis juifs, le risque d'un racisme à rebours.

Ce qui presse désormais, avant que déferle une autre vague d'arguments spécieux et même dangereux, c'est que le Québec prenne le temps de s'interroger globalement, sereinement, patiemment sur sa capacité d'accueil et sur l'orientation qu'il entend lui donner. Avant de se proclamer terre d'accueil, la France, entre autres pays, a dû s'interroger sur ses valeurs et c'est à cette réflexion que le Québec doit consentir. Dans le passé, le Québec a recouru à des commissions d'enquête de grand calibre pour jeter les bases d'un nouveau système d'éducation, d'une nouvelle organisation de la santé et des services sociaux, d'une nouvelle philosophie dans sa justice. C'est d'une telle enquête que le Québec a besoin aujourd'hui face aux défis que lui lance la modernité ethnique, sociale, politique.

Il s'agit de voir grand et loin. Mener une enquête sur les relations entre la police et les communautés culturelles, c'est jouer du regard laser et voir très petit. Mener une enquête sur l'érosion du français, c'est faire oeuvre utile, mais c'est aussi circonscrire indûment le débat. La police, la langue, l'école, les médias, tout cela est en cause si l'on consent à s'interroger sur la capacité d'accueil du Québec, sur les fruits que le Québec en attend et sur la décence et le respect que doit garder toute forme d'accueil. Sur ce terrain, MM. Bouchard et Michaud auraient tous deux des choses importantes à dire.

Et cela nous ferait entrer dans le nouveau millénaire de meilleur gré. Mes meilleurs voeux.

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