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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 26 décembre 2000

Beau cadeau peu coûteux

Le ministre canadien des Finances, M. Paul Martin, aimerait qu'on le considère comme un exemplaire bienfaiteur de l'humanité souffrante. Conscient de la pauvreté qui handicape gens et pays, ému par les morts que cause la faim, hanté par un immense souci d'équité, M. Martin entend tout mettre en oeuvre pour changer le décor. Tout? Enfin, presque tout. Il est prêt à prodiguer les promesses, à les répéter avec des formulations variables selon les tribunes, à les proposer en modèle aux autres pays riches. Le problème, c'est que le cadeau que M. Martin n'en finit plus de promettre constitue à la fois un mauvais cataplasme, une ingérence caractérisée dans la gestion des pays pauvres et un attrape-nigaud.

Quoi qu'il veuille laisser croire, M. Martin n'effacerait aucune dette. Même si l'on donnait suite à ses voeux, les dettes des pays dont il parle demeureraient exactement les mêmes. M. Martin propose simplement de ne pas percevoir pendant un certain temps l'intérêt sur les sommes que certains pays lui doivent. Ce n'est pas la même chose. Patienter un instant avant d'exiger son dû, ce n'est pas renoncer à le percevoir. Suspendre l'accumulation des intérêts composés, ce n'est même pas annuler l'intérêt qui a gonflé et parfois multiplié la dette initiale.

On aura donc compris que le montant de 700 millions que répercutent les médias n'a aucune commune mesure avec le cadeau hypothétique que M. Martin a en tête. La dette est de 700 millions et elle sera aussi peu entamée par les plus récentes promesses de M. Martin que par les anciennes. Ce qui est en cause, ce n'est pas la dette, mais l'intérêt sur la dette. Le cadeau virtuel de M. Martin n'est que de 3 ou 5 ou 7 % d'une dette de 700 millions. Mais les manchettes, simplement paresseuses ou délibérément trompeuses, impressionnent davantage quand elles retiennent le montant de la dette plutôt que celui de l'intérêt...

En plus de ne pas effacer la dette des 17 pays pauvres que visent ses propositions, M. Martin s'arroge le droit de déterminer de façon unilatérale et cavalière les priorités de ces pays. Son moratoire, il le réserve aux pays qui consentiront à se laisser régenter selon ses vues. À la manière du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, M. Martin impose à ses débiteurs le genre de tutelle qui préserve l'emprise de l'hémisphère nord sur la moitié sud du globe. Il s'accorde un droit de regard sur l'usage que feront les pays pauvres de l'intérêt épargné grâce à son moratoire. Il a même déjà exercé ce droit de regard, puisqu'il considère que les pays suivants n'obtiennent pas la note de passage : le Congo, la Côte-d'Ivoire, le Libéria, La République démocratique du Congo, le Rwanda et le Soudan. À la suite de quelle enquête? Sur la foi de quels renseignements? On ne sait. S'en est-il remis au jugement d'organismes internationaux comme Amnistie internationale ou Human Rights Watch? On ne sait. Quand on se rappelle le cheminement délibérément asocial suivi par M. Martin pour sortir le Canada de ses déficits chroniques, on se demande bien au nom de quoi le ministre canadien pourrait enseigner la compassion ou même la transparence de la gestion aux pays pauvres. Que les pays pauvres se sentent humiliés par la prétention canadienne à leur faire la leçon, on le comprendrait.

En plus de se sentir humiliés par les propositions de M. Martin, les pays pauvres éprouveront sans doute le goût d'examiner de plus près la dette elle-même, ses composantes et ses origines. On peut se demander en tout cas, en lisant les ouvrages de Michel Chossudovsky ou de Jacques B. Gélinas, si ce ne sont pas les pays de l'hémisphère sud qui seraient en droit d'adresser des factures aux pays riches. Quelle est, dans ce montant de 700 millions, la part déjà occupée par des intérêts imposés de façon unilatérale par les prêteurs et les investisseurs? Combien des millions qui composent cette dette découlent de l'exploitation que se permettent les transnationales à l'égard d'une main-d'oeuvre à bon marché? Combien ne font que révéler une sous-évaluation des richesses naturelles siphonnées par les pays riches? M. Martin n'en dit mot. Pas plus que le FMI et la Banque mondiale ne confessent que les dettes des pays pauvres sont souvent la cynique conséquence du comportement colonial et même usuraire du capitalisme triomphant. On voit l'enchaînement : le Canada n'efface aucune dette, il ne fait pas disparaître l'intérêt déjà comptabilisé sur la dette initiale, il assortit son absolution virtuelle de conditions humiliantes, mais, au fond, peut-être n'y a-t-il même pas de dette... !

Reste, puisque les pays riches, Canada compris, ne troubleront pas pour si peu la paix de leur conscience, à s'interroger sur les droits fondamentaux. Doit-on accorder un congé d'intérêts à des régimes qui en profiteront pour enrichir leurs élites les plus voraces et pour se militariser avec une frénésie renouvelée? Certes pas. Il faudrait donc, ne m'en déplaise, maintenir un certain lien entre l'aide financière et le respect des droits fondamentaux? J'en conviens. À deux conditions cependant. La première, ce serait d'accéder soi-même à une parfaite respectabilité. La récente campagne électorale canadienne a révélé tant de fois les insuffisances de notre démocratie que notre insistance sur le respect des droits fondamentaux devrait se faire sur le ton de la prudence. La deuxième condition, ce serait de traiter tous les partenaires commerciaux de la même manière et de ne pas punir chez les pauvres des comportements que l'on pardonne aux riches et aux puissants. Balayer la Tchétchénie sous le tapis rouge qu'on déroule devant le président russe et sanctionner le Rwanda ou le Congo, cela est peu convaincant.

De toutes manières, s'il n'y a pas de dette et si M. Martin n'a pas l'intention d'effacer celle que les banquiers imaginent, de quoi diable parlons-nous?

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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie