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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 21 décembre 2000

Les débuts équivoques de Colin Powell

Même si Colin Powell n'a encore aucune autorité pour définir la politique étrangère des États-Unis, il pèse déjà de tout son prestige militaire sur les choix américains. Si des doutes existaient encore quant à son appartenance au clan des faucons, il les aura lui-même balayés en quelques phrases. Dès le survol préliminaire de ses intentions, il a, en effet, placé ses priorités sous le signe de la fermeté et presque identifié les cibles dont il s'ocupera tout à l'heure. Tant mieux si la déclaration s'inscrit dans une pédagogie préventive et si le ton adopté par Colin Powell persuade tous les éventuels opposants de ne pas mettre à l'épreuve la détermination américaine. On peut craindre cependant que le ton belliqueux adopté par Powell provoque un résultat inverse. On doit donc souhaiter que viennent les nuances et les rameaux d'olivier.

Colin Powell a évoqué trois dossiers : le Proche-Orient, l'Irak, le déploiement des soldats américains à travers le monde. Dans chacun des cas, c'est de force qu'il a été question, non de paix. On retire même l'impression que Powell tient à se démarquer immédiatement du style de Madeleine Albright et, plus fondamentalement, de la politique suivie par l'administration Clinton. À croire que la fermeté peut, à elle seule, remplacer le droit et la négociation.

Au Proche-Orient, la clarté toute militaire de Powell dit peut-être tout haut ce que le président Clinton dissimulait de son mieux. Les États-Unis, déclare Powell, vont soutenir Israël, tout en tenant compte des pays qui le voisinent. Autant dire que Washington va continuer à soutenir Israël et à lui servir de parapluie contre tout désaccord de la communauté internationale. Autant dire qu'Israël a le droit de mettre Washington et la planète devant le fait accompli et que le monde arabe n'a que le droit d'être écouté. C'est brutal, injuste, blâmable, mais c'est clair. Clinton, qui pensait la même chose, se déguisait quand même en arbitre impartial.

Le changement serait-il donc d'ordre surtout cosmétique? Certes pas. En hissant ainsi ses couleurs avant même de tenir les leviers de commande, Powell sait qu'il agresse le monde arabe. S'il le fait, c'est qu'il est prêt à affronter la réaction. Cela n'a rien de rassurant pour quiconque espère la pacification du Proche-Orient.

Quand il évoque « les leaders ratés menant une politique ratée », Powell vise assurément l'Irak et, plus directement, Saddam Hussein. Le despote irakien a survécu à l'opération Tempête du désert, si bien survécu que le responsable de cette guerre Nintendo, Powell lui-même, ne jugera sa mission terminée qu'au moment où Bagdad passera sous un autre régime. On peut même redouter, sans verser dans la psychanalyse à bon marché, que Powell ressente comme une injure personnelle la résistance de Saddam Hussein. Ce qui accrédite quelque peu cette crainte, c'est que l'autre guerre conduite par les États-Unis contre une dictature et, qui plus est, contre un nettoyage ethnique n'a pas plus transformé les bases politiques de la Yougoslavie que celle de l'Irak. Powell, pourtant, a une pensée particulière pour Saddam Hussein, alors que la survie politique de Milosevic et la nouvelle expansion de ses thèses ne semblent préoccuper que médiocrement le nouveau secrétaire d'État américain. Ne concluons pas d'avance, mais gardons un oeil critique sur les risques que comporterait une vendetta personnelle. Pour farfelue qu'elle puisse sembler, l'hypothèse mérite au moins une évocation. Qu'on songe simplement à l'acharnement d'un Kennedy contre Cuba et son Lider Maximo.

Le troisième dossier mentionné par le nouveau secrétaire d'État américain soulève plus d'interrogations qu'il n'en calme. Powell a évidemment le devoir de réévaluer le déploiement des forces américaines à travers le monde et on ne lui reprochera pas de s'attaquer rapidement à cette tâche. En revanche, il ne fournit aucun indice quant aux critères qui vont encadrer et guider ce réexamen. On peut craindre, par exemple, en raison de l'« affection » du président Bush pour l'industrie pétrolière, que la définition des « intérêts américains » soit encore plus exorbitante que par le passé. On peut se demander également jusqu'où iront les États-Unis pour garder leur emprise sur l'OTAN et même pour empêcher l'Europe de se doter d'une force d'intervention rapide fonctionnant de façon autonome. On aimerait également savoir de Colin Powell si les États-Unis vont continuer à valoriser la vie du GI plus que celle des autres soldats et à s'en remettre aux autres pays des meurtrières opérations terrestres.Tout comme on voudrait que Powell dise si la protection du sol américain par un bouclier anti-missiles ramènera les États-Unis à l'isolationnisme qui prévalait jusqu'à Pearl Harbor. Réévaluer le déploiement des forces américaines à travers le monde n'a de sens que si, le plus rapidement et le plus clairement possible, Colin Powell fait savoir quelles valeurs et quels principes le guideront.

Soyons quand même de bon compte. En raison des semaines gaspillées en arguties par la course à la présidence américaine, l'équipe du président Bush a moitié moins de temps qu'elle n'aurait dû en avoir pour s'initier aux complexités de la politique internationale et clarifier ses orientations. Dans ce contexte, il se peut que le nouveau Secrétaire d'État américain ait dit d'un coup ce qui aurait pu se segmenter. Il se peut.

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