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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 18 décembre 2000

« Toi, Michaud, tais-toi! »

Ce qu'on appelle déjà l'affaire Michaud présente tant d'anomalies qu'il faut presque les sérier. Certaines pourraient n'être que grotesques, mais plusieurs d'entre elles cessent de n'être que cela quand elles révèlent de graves dérives du pouvoir politique. D'autres, enfin, sont peut-être gestantes de pire encore : de redoutables malentendus.

Rangeons généreusement dans la catégorie du ridicule (qui ne tue pas) la candeur avec laquelle les députés de l'Assemblée nationale ont dégagé une unanimité à propos de faits qui leur étaient inconnus ou presque. Du premier ministre au dernier figurant de l'arrière-ban, on a condamné, « sans nuances » a-t-on tenu à dire, des « propos inadmissibles » dont on n'aurait pas pu fournir la teneur, car on ne les connaissait, au mieux, que par intermédiaires interposés. Sans se sentir gêné, Mario Dumont dit, après coup, que l'Assemblée nationale a exagéré, mais il n'explique pas pourquoi il a exagéré lui aussi. Dans son cas, il n'a même pas l'excuse blafarde de la discipline de parti pour justifier son comportement.

Grotesque était également le calcul politique du premier ministre et de sa docile cohorte. On saisissait au vol le prétexte aimablement fourni par les libéraux et on liquidait un franc-tireur dont le Parti québécois ne voulait pas. Calcul grotesque, car au lieu d'éliminer Yves Michaud avant qu'il n'obtienne l'investiture dans le comté de Mercier, il donne une immense visibilité à cette liquidation, un statut de victime au candidat évincé et un air d'arroseurs arrosés aux comploteurs. Au lieu de répondre calmement qu'on attendrait d'avoir soi-même lu ou entendu quelque chose de précis avant de durcir son opinion et au lieu d'ajouter que le Parti québécois n'est pas plus lié par les déclarations d'un militant péquiste que le Parti libéral ne l'est par les vendettas d'un Thomas Mulcair, les ténors du gouvernement ont tout de suite voulu obtenir leur part du scalp de M. Michaud. Pourquoi des règles et des décences quand on tient à ce que l'accusé soit coupable?

La curée fut à ce point improvisée que nul ne savait, ni au moment du vote unanime ni au moment d'en rougir à tête reposée plus tard, à quels propos de M. Michaud il s'en était pris. À ceux que l'ancien député tient dans son livre? À ceux qu'il a développés devant la commission Larose où, de l'avis du président lui-même, tout s'est déroulé de façon courtoise, aussi bien du côté de M. Michaud qui lisait son mémoire que du côté des commissaires dont plusieurs ont dialogué avec l'auteur? Aux propos que M. Michaud a répétés lorsque les journalistes l'ont encerclé au sortir de sa comparution? Les propos, certes, sont substantiellement les mêmes, parfois jusque dans la formulation, mais le cadre, lui, diffère d'un contexte à l'autre. On admettra, à cet égard, que l'atmosphère créée par un journaliste de langue anglaise demandant à M. Michaud s'il entendait s'excuser (apologize) n'avait plus rien de serein. La question, déjà, était une charge. L'Assemblée nationale, dans son blâme ostensiblement dépourvu de nuances, a rejeté des propos qu'elle ne pouvait ni citer ni même situer.

Tout cela révèle, en surface, que l'Assemblée nationale ne craint pas le ridicule. En profondeur, cela fait craindre que l'Assemblée nationale ne sache plus qui elle est. Elle ne mérite ce titre d'assemblée, en effet, que si elle incarne par excellence la liberté d'expression du pays. Quand elle immole aussi cavalièrement la liberté de parole et de conscience sur l'autel de la discipline de parti, elle démérite. Quand, loin de défendre jusqu'à l'extrême limite la liberté de parole qui fonde une démocratie, elle se rue sur une personne qu'elle n'a ni lue ni entendue et qu'elle n'entendra d'ailleurs pas, elle perd la plus fondamentale de ses raisons d'exister.

L'Assemblée nationale, d'autre part, ne mérite son épithète de nationale que si elle permet et encourage l'accès de toutes les tendances à la parole publique. Quand on estime n'avoir rien à dire au sujet de la concentration de la presse, sous prétexte qu'on n'a pas les moyens de l'empêcher, on pactise lâchement avec le monopole de la pensée. Quand on lynche moralement M. Michaud alors qu'on n'avait rien à dire au sujet d'un Galganov ou d'un Mordecai Richler, on ne traite pas équitablement toutes les tendances de la nation. On ne peut quand même pas, à la fois, justifier le mutisme par le manque de moyens et justifier le saut à la jugulaire en prétendant qu'on a simplement admonesté M. Michaud. Ne pas agir en arguant du manque de moyens et agir en arguant qu'on ne recourra pas aux moyens, a-t-on meilleure définition du plus irresponsable et du plus malhonnête des sophismes?

Faut-il, tant l'Assemblée nationale a multiplié les imprudences, oublier le fond du débat? Certes pas. Qu'a dit M. Michaud qui puisse le caractériser clairement comme raciste, antisémite ou xénophobe? Rien. Il n'a dit que ceci : qu'il n'était pas normal de ne trouver aucune, mais aucune dérogation à l'appui que donnent certains groupes de Québécois au fédéralisme. M. Michaud comprendrait qu'une majorité d'anglophones ou d'allophones s'opposent à l'idée d'indépendance du Québec, tout comme il comprend (et regrette) que beaucoup de francophones n'endossent pas les thèses péquistes, mais il s'étonne du monolithisme de certaines oppositions. Que beaucoup s'opposent, il le conçoit; que nul n'approuve, il s'en étonne. Cela ne peut-il pas se discuter? Surtout dans un contexte où l'on ne se gêne pas pour détecter dans le psychisme québécois une sombre tendance au fascisme et au vote massivement xénophobe, est-il à ce point impensable de ne pas pouvoir demander quelle tendance conscrit les consciences avec la plus massive efficacité? Il ne manque pourtant pas d'historiens modernes pour tenter de comprendre les votes massifs des Autrichiens en faveur du rattachement à l'hitlérisme. Qui dit votes massifs en Autriche ne dit pourtant pas 100 %.

Parmi les risques les plus graves que suscite le comportement grégaire et imprudent de l'Assemblée nationale, il faut bien évoquer celui que courent et engendrent des groupes de pression comme le B'Nai Brith en poussant l'irascibilité et la rectitude politique jusqu'à la paranoïa inclusivement. Ces groupes de pression avaient déjà largement dépassé les bornes en jugeant qu'une rodomontade de jeunesse de Jean-Louis Roux le disqualifiait comme lieutenant-gouverneur du Québec et en obtenant sa démission. Jean-Louis Roux a pu, comme d'autres, pratiquer à l'occasion un humour douteux; il n'était pas un nazi et l'ensemble de sa vie aurait dû le mettre à l'abri du lynchage. Récidiver aujourd'hui en intentant à Yves Michaud un mauvais procès pour antisémitisme, c'est aggraver le risque d'être à son tour mal compris. Jouer du lobby pour empêcher la tenue d'un débat délicat mais légitime, ce n'est pas la meilleure contribution que puisse faire la mémoire de l'Holocauste à la défense de la démocratie.

« Toi, Michaud, tais-toi! », cela vous rappelle-t-il quelque chose? Ce qui était la grossièreté d'un homme serait-il devenu l'intolérance d'un régime?

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