Dixit Laurent Laplante, édition du 11 décembre 2000

Mais sont-ils donc tous pareils?
par Laurent Laplante

Le bon peuple, pas plus en France qu'ailleurs, n'attendra pas le verdict des tribunaux pour conclure à la culpabilité du président Jacques Chirac. Qu'est-ce qu'une preuve lui apprendrait qu'il ne sait déjà ? Ceux qui pratiquent la politique en professionnels s'imprègnent forcément, pense-t-on, des moeurs typiques de ce milieu. Ces moeurs comprennent la langue de bois, la manie de l'emphase, le goût des manoeuvres couleur de muraille, l'allergie à la contradiction et, bien sûr, un assez vigoureux appétit pour les biens de ce monde. Quand le jugement populaire prend cette causticité, il est temps de proposer des nuances.

Ce n'est pas, quoi qu'on en dise, l'activité politique elle-même qui mérite à ce point le soupçon. Ils sont nombreux, en tout cas, les femmes et les hommes qui plongent dans la carrière politique pour offrir le meilleur d'eux-mêmes. Je m'aventurerais même à dire qu'une bonne majorité d'entre eux songent, au moment de tenter l'aventure, à autrui et à la société plus qu'aux avantages personnels qu'ils pourraient en retirer. Le motif peut être un projet proprement politique, comme celui de l'indépendance nationale. Ou il peut s'agir d'un objectif spécifique, réforme de l'éducation ou assainissement des moeurs électorales par exemple. Que l'ambition soit là, c'est l'évidence même, car rares sont les apprentis politiques qui ne se voient pas ministres ou mieux encore, mais elle n'est généralement pas la composante la plus importante de la décision.

Si, en plus, on laisse tomber la démagogie qui sévit chaque fois qu'il est question de la rémunération des députés, on admettra que le métier d'élu coûte bien peu à la collectivité par rapport à ce qu'il peut lui valoir. La vie d'un député est si méthodiquement découpée en tranches minces, si dispersée en tâches disparates et cumulatives, si bousculée par les réclamations de l'électorat et les travaux parlementaires qu'il faut, pour la vivre correctement, plus et mieux que le salaire moyen attaché à la fonction. Quelque chose qui ressemble à une conviction. Ceux qui se scandalisent du salaire du député devraient subir quelques jours l'horaire qui écrase les élus. Et peut-être devraient-ils terminer leur enquête en regardant ce qui reste de la vie de famille quand on représente à Québec, à Ottawa, à Paris ou à Washington une région éloignée.

Ne transformons quand même pas chacun des élus en allié objectif de Mère Teresa. Dans bien des cas, l'altruisme sincère du départ résiste mal aux tentations et le réformateur se retrouve avec de vilaines éclaboussures sur son bel uniforme blanc. Pourquoi? Et, surtout, pourquoi ce glissement est-il fréquent au point de paraître systémique? Aucune explication, à ce jour, n'est plus crédible que celle du pouvoir. Celui qui n'en a pas ne peut prévoir ce que la possession du pouvoir va changer en lui. Celui qui parvient au pouvoir perd tout souvenir de ce qu'il était avant de gagner du galon. Le pouvoir est un aimant pour ceux qui en sont privés, un opium pour ceux qui l'exercent.

S'il en est ainsi, pourquoi distinguer le pouvoir politique des autres pouvoirs? Pourquoi laisser entendre, comme tout à l'heure, que le problème de la corruption politique n'est peut-être pas imputable à la seule activité politique? Parce que le pouvoir politique, pour un temps encore tout au moins, éveille autour de lui de vives convoitises et la crainte non moins vive de l'inconnu. Le monde des affaires déteste l'incertitude. Il veut savoir, de façon cadenassée, si la législation environnementale sera appliquée ou si elle sera contournable et si la promesse électorale se traduira ou non en réglementation. Il attendra, pour relancer le NASDAQ, que soit connue l'identité du prochain occupant de la Maison blanche.

Le monde des médias trouve aussi avantage à transformer selon ses perspectives à lui la chorégraphie politique. Puisque la presse prêche la liberté, mais pratique la concentration, on peut prévoir que la même presse ne s'intéressera qu'aux grands dénominateurs communs : les chefs de partis, les grands centres, les thèmes réductibles à des manchettes. On parlera d'exode des cerveaux, d'encombrement des urgences, d'étranglement des banlieues, et l'on oubliera aussi bien le reste de la planète que la vie qui bat au ras du sol.

Tout cela explique, ici comme ailleurs, la montée en puissance des partis politiques et de leurs bureaucraties. Les appareils politiques survivent aux chefs que, d'ailleurs, ils ont souvent choisis. Ces appareils simplifient et clarifient les choses selon les voeux de ceux, entreprises et médias, qui aiment les choses simples. Qu'elle soit démocrate ou républicaine, péquiste ou libérale, socialiste ou RPR, la machine politique n'existerait pas si elle ne répondait pas aux besoins des conglomérats industriels et financiers et des empires de presse. Le problème, c'est que les machines politiques ne remplissent leur rôle de grandes simplificatrices que moyennant des espèces trébuchantes et sonnantes. Au Québec, la célèbre caisse électorale de l'Union nationale recevait son pourcentage sur d'innombrables achats gouvernementaux. Dans la France actuelle ou toute récente, la mairie de Paris, selon toutes les apparences, avait mis en place un système analogue : les contrats allaient à ceux qui s'étaient prémunis contre le vilain arbitraire politique en alimentant une caisse partisane. Et si, dans une Allemagne bien contemporaine, un homme politique avait besoin de fonds discrètement versés dans sa caisse électorale, il pouvait, semble-t-il, mettre à contribution la présidence française, quitte, un autre jour, à renvoyer l'ascenseur. Autre temps, même hommerie et mêmes moeurs.

Ce qui étonne, ce n'est donc pas que des vertus politiques craquent sous les pressions conjuguées de l'ambition personnelle, du simplisme médiatique, du besoin de sécurité des gestionnaires de tout poil et des jeux de coulisse des appareils politiques partisans. C'est qu'on fasse porter aux seuls politiciens l'odieux de pratiques qui profitent autant et plus à bien d'autres.

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20001211.html

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