Dixit Laurent Laplante, édition du 7 décembre 2000

S'agit-il bien d'euthanasie?
par Laurent Laplante

Parce que les Pays-Bas viennent de consacrer une loi au délicat sujet du suicide assisté, on pousse les hauts cris en accusant les Néerlandais d'avoir légalisé l'euthanasie. La ministre allemande de la Justice estime que l'on a ainsi brisé un tabou. Le Conseil de l'Europe juge la législation contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme. Et le Vatican, comme il se doit, voit dans cette loi une violation de la dignité humaine. Le Canada, qui a manqué de courage au moment où Sue Rodriguez demandait qu'on l'aide à mourir, n'a pas besoin de s'exprimer sur la question pour qu'on sache où il loge. Il n'est pourtant pas certain qu'il s'agisse ici d'euthanasie.

L'euthanasie, à mes yeux, est un meurtre. On aura beau l'assortir des meilleures justifications du monde et la faire sourdre des plus nobles intentions, elle sera toujours un meurtre. Peut-être un meurtre perpétré par compassion, peut-être un assassinat commis parce qu'on veut mettre fin aux souffrances d'une personne aimée, mais un meurtre quand même. L'euthanasie sera toujours, en effet, l'interruption de la vie d'une personne décidée et mise en oeuvre par une autre personne.

Le suicide assisté, c'est autre chose. On peut s'y opposer aussi farouchement qu'à l'euthanasie, mais il ne s'agit plus de la même chose. Lorsque, par exemple, Sue Rodriguez s'adressait aux tribunaux canadiens pour qu'on permette à un médecin de poser le geste fatal qu'elle désirait, mais dont elle n'était pas capable physiquement, la décision venait de Sue Rodriguez et de personne d'autre. Si la Cour suprême du Canada avait acquiescé à cette demande, il y aurait eu non pas un meurtre commis contre le gré de Sue Rodriguez ou du moins sans son consentement, mais un geste mortel posé à la demande de Sue Rodriguez. Qu'il y ait dans une hypothèse comme dans l'autre une interruption de la vie, c'est indéniable, mais si l'on accorde à la volonté de l'être humain l'importance qu'elle mérite, un monde sépare l'euthanasie du suicide assisté.

Les Pays-Bas, qu'on blâme de libéraliser l'euthanasie jusqu'à la banalisation, ne sont, sur ce terrain, ni des néophytes ni des irresponsables. Depuis maintenant plus d'une dizaine d'années, ils explorent, presque seuls mais avec prudence et sagesse, de nouvelles façons de respecter la volonté des personnes qui souhaitent mourir sans pour autant ouvrir la porte aux abus de toutes natures. Les Néerlandais savent mieux que quiconque que l'euthanasie peut servir d'alibi aux héritiers pressés et gourmands. Ils savent également qu'il ne convient pas de confier aux professionnels de la santé le pouvoir de décider en lieu et place des malades si l'heure est venue de quitter ce monde. Les Pays-Bas ont donc, depuis des années, maintenu dans la loi une épée de Damoclès : de lourdes peines sont suspendues sur la tête du médecin qui omettrait de se plier aux règles en vigueur. Ces règles sont d'ailleurs exemplaires de prudence. Aucun geste mortel n'est permis à moins que le malade soit atteint d'une maladie incurable et frappé de souffrances impossibles à alléger. On exige que la personne, à ses heures de pleine lucidité, formule explicitement et à plusieurs reprises sa demande de suicide assisté. On impose encore au médecin traitant l'obligation d'obtenir d'un collègue un examen indépendant et une corroboration du diagnostic et du pronostic. Indice probant de la sagesse de ces règles, les peines prévues n'ont guère servi. On est loin, on le voit, d'une légalisation de l'euthanasie.

Il s'agit de placer dans les plateaux d'une même balance deux valeurs éminemment respectables et de vérifier si la balance doit toujours rendre le même verdict que par le passé. D'un part, le combat médical pour la vie; de l'autre, le droit du malade à décider de son sort. Dans le passé, le pouvoir médical s'est souvent exercé à la manière d'un peu négociable magistère. Le professionnel savait ce qui était bon pour le patient et il se passait assez souvent de son consentement. Il n'est d'ailleurs pas dit que nous soyons complètement sortis de cette époque de médecine verticale et péremptoire. On constate cependant, jusque dans les milieux professionnels, un changement de mentalité. On accepte que les gens veuillent, selon la belle expression d'Yvon Bureau, être « responsables jusqu'à la fin » et qu'ils puissent, d'avance, baliser les soins qu'on leur prodiguera dans les dernières phases de leur vie. Pour peu qu'on soit d'accord avec cette volonté d'autonomie des malades, on doit se demander si la conception traditionnelle du rôle médical ne doit pas évoluer. Prolonger une vie de souffrances contre le gré du malade, est-ce encore se ranger du côté de la vie? Est-ce s'incliner devant le droit de chacun à sa dignité et à sa liberté?

Beaucoup estimeront que cette balance à deux plateaux simplifie abusivement les enjeux. Un tabou est en cause qui n'a rien à voir avec la volonté des malades ou le combat médical en faveur de la vie. Ce tabou, diront-ils, c'est le caractère sacré de la vie. Personne, souligneront-ils, n'a le droit d'y attenter. Ni le médecin ni le malade lui-même. Le suicide assisté, à leurs yeux, ne vaudrait donc pas mieux que l'euthanasie, car il serait un assaut conjoint d'un malade et de son médecin contre une vie sacrée. L'argumentation ne manque ni de mordant ni de dignité.

Peut-on au moins prendre le temps, le plus sereinement possible, de vérifier ce que les Pays-Bas ont vraiment décidé? Peut-on, même si l'on fait de la vie un absolu, admettre que d'autres peuvent considérer la liberté comme plus désirable encore qu'une vie qui n'en est plus une?

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20001207.html

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