Dixit Laurent Laplante, édition du 23 octobre 2000

Processus de paix : où ça?
par Laurent Laplante

Le vocabulaire journalistique surabonde en clichés qui, souvent, proviennent des relationnistes et autres sculpteurs d'images qui campent à l'ombre des divers pouvoirs. Nos oreilles s'habituent donc aux rationalisations qui dissimulent les mises à pied, aux redéploiements stratégiques qui camouflent les erreurs de calcul, aux prises en considération qui embellissent les garanties d'amnésie. Peu d'expressions, pourtant, sont aussi trompeuses que celle de « processus de paix au Proche-Orient ». Le terme survit quand même à tous les assauts de l'évidence.

Qui dit processus dit cheminement, marche, variation. Évoquer un processus n'a de contenu que si un changement distingue une étape de celle qui l'a précédée. Le changement, notons-le, n'est pas nécessairement heureux. Il n'est pas dit, par exemple, que l'évolution des espèces soit un processus heureux pour chacune d'entre elles ou même pour l'ensemble. Quand le processus implique les humains et leurs relations, on ose espérer, pourtant, que le processus est mis en branle dans l'espoir d'améliorer le sort des individus et des populations.

Si telles sont les balises à respecter, comment parler d'un processus de paix au Proche-Orient? Comment et pourquoi s'accrocher à l'expression alors que les changements sont à peu près nuls et peut-être même négatifs? Le résistance de l'expression est telle et l'adéquation si inexistante entre la réalité et le cliché journalistique qu'il faut alors, malgré les risques que comporte le procès d'intention, soupçonner autre chose que l'inattention, la paresse ou le hasard.

Pour s'y retrouver un peu, il faut plus que la superficialité épidermique des images télévisées. Revoir l'assassinat de Kennedy ou celui de Sadate, visionner pour la dixième fois le lynchage de deux soldats israéliens ou le tir de roquettes contre des lanceurs de pierres, cela en dit peu sur le fond de la question. Cela va même à l'encontre du « devoir d'analyse » qu'impose la vie en démocratie : l'image crée une certitude malsaine, entretient chacun dans ses préjugés, donne prise à toutes les manipulations de l'opinion. Qu'on se souvienne des images concernant la mort de Ceaucescu et qui se révélèrent honteusement truquées. Ne pas compléter, enrichir, nuancer l'image, c'est miser sur l'humeur plus que sur la raison.

Pour s'y retrouver un peu, il faut lire. Lire les dossiers établis par des gens crédibles, irrigués par l'enquête plutôt que par le fanatisme. Tempérer les dossiers obéissant à telle perspective par ceux qu'alimente un autre regard. Je cite, à titre de modestes illustrations et en sachant bien que bien d'autres références valent les miennes, quelques ouvrages qui résistent à l'« outrage des ans » et aux fluctuations de la mode : Exodus, de Leon Uris, Les Palestiniens - Un peuple de Xavier Baron, Thomas Friedman, From Beirut to Jerusalem de Thomas Friedman, et Vie et mort au camp de Chatila - Le drame palestinien du docteur Chris Giannou.

Ces livres ne disent pas tout. Ils disent quand même dans quel climat s'est créé l'État d'Israël. Ils rappellent, au passage, que le premier ministre canadien Pearson a reçu le prix Nobel de la paix (oui, de la paix), pour sa contribution à ce changement politique et culturel majeur au Proche-Orient. Ces livres font entrer dans l'examen des conflits entre Israéliens et Palestiniens des pays comme la Syrie, l'Égypte, le Liban, la Jordanie. Ils rappellent, de la façon la moins discutable qui soit, le rôle d'un Ariel Sharon dans les massacres de Chatila. Malheureusement, ces lectures, pas plus que bien d'autres, ne révèlent aucun cheminement qui puisse, à ce carrefour de cultures et d'intérêts qu'est le Proche-Orient, mériter le nom de processus de paix. De 1948 à nos jours et plus encore depuis 1967, la donne est la même : le Proche-Orient se résigne toujours aussi mal à l'existence d'Israël et Israël, fort de l'appui inconditionnel des États-Unis, ne consent à des accords avec ses voisins qu'en se réservant le droit de toujours renier sa signature.

Il n'y a pas processus de paix quand la résolution 242 des Nations-Unies demeure, trente ans après son adoption, lettre morte. Il n'y a pas processus de paix quand les accords d'Oslo demeurent aussi futiles que le dernier kleenex. Il n'y a pas processus de paix quand le président américain, irrévocablement soudé à son partenaire israélien, s'entête à jouer au médiateur. Il n'y a pas processus de paix quand les extrémistes de toutes origines, depuis Ariel Sharon jusqu'aux maquisards armés palestiniens ou libanais, stérilisent méthodiquement les efforts de Barak et d'Arafat.

Peut-être y aura-t-il processus de paix quand les États-Unis laisseront une enquête internationale évaluer de façon rigoureuse et crédible les récents affrontements. D'ici là, l'expression n'a de valeur que comme mensonge.


RÉFÉRENCES
Leon Uris, Exodus, Doubleday, 1958, 599 p.
Xavier Baron, Les Palestiniens - Un peuple, Le Sycomore, 1984, 554 p.
Thomas Friedman, From Beirut to Jerusalem, Farrar, Strauss & Giroux 1989 ou Anghor Books, 1990, 543 p. dans l'Édition Anghor
Docteur Chris Giannou, Vie et mort au camp de Chatila - Le drame palestinien, Albin Michel, 1993, 345 p. (La version anglaise date de 1990 et porte le titre de Besieged, chez Key Porter Books.)

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20001023.html

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