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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 5 octobre 2000

Celui qui provoque, celui qui protège

Pour une fois, le président français Jacques Chirac a laissé au vestiaire les ronrons diplomatiques : ce qu'a fait Ariel Sharon appartient à l'univers de la « provocation irresponsable ». En se rendant à l'Esplanade des mosquées, le chef de la droite israélienne savait, espérait peut-être, la déflagration qui se produit. Trois membres permanents du Conseil de sécurité partagent suffisamment le jugement français pour faire porter à Israël la responsabilité des affrontements qui, une fois de plus, ensanglantent le Proche-Orient. Seuls à avoir raison, les États-Unis se bornent à déplorer la violence. Comme si l'absolution accordée au provocateur n'était pas une autre provocation.

Les États-Unis, aux yeux de nombreux observateurs, ont une raison valable pour laisser tourner l'horloge. Tant qu'on ne connaîtra pas le nom du prochain occupant de la Maison blanche, il ne saurait être question, nous dit-on, d'adopter des positions tranchées. Le prétexte, pourtant, ne résiste pas à l'analyse. D'une part, parce que les États-Unis n'ont pas agi plus correctement quand ils en avaient le loisir. D'autre part, parce que ni le candidat Gore ni le candidat Bush ne remettront en question la relation privilégiée qui rend Israël et les États-Unis mutuellement dépendants. Jusqu'à maintenant, les deux aspirants présidents diffèrent d'ailleurs si peu à ce propos qu'ils n'évoquent même pas la question.

Une conclusion découle de cette évidence : si une solution doit être inventée, ce n'est pas d'un laboratoire américain qu'elle sortira. Les propos tenus par le président Clinton et son épouse au sortir des discussions de Camp David ont rendu public et assuré ce que tout le monde pouvait déjà soupçonner : aux yeux de Washington, c'est à l'intransigeance de Yasser Arafat qu'il faut imputer le blocage des négociations. Que cela soit fondé ou pas, ce que ne pouvait d'ailleurs pas savoir Hillary Clinton qui n'assistait pas aux négociations secrètes (?), l'arbitre américain se disqualifiait du même coup pour toute négociation future. Depuis lors, le choix d'un militant juif intransigeant comme colistier du candidat Gore a encore réduit l'espoir de voir les États-Unis se conduire en arbitres neutres dans ce conflit après les prochaines élections présidentielles. Cherchons ailleurs l'arbitrage crédible.

Ce biais américain, déjà malsain et qui ne peut que s'enlaidir, est suffisamment patent pour que le fanatisme d'Ariel Sharon trouve à s'exercer dans une parfaite impunité. L'homme a compris qu'il peut, fort du parti-pris américain, provoquer les Palestiniens autant qu'il lui est agréable de le faire. L'hécatombe qui en résulte? Il s'en lave les mains. Madeleine Albright peut bien recourir une fois de plus au rituel de la temporisation, ce n'est pas cela qui empêchera le chef de la droite israélienne de se savoir hors d'atteinte et dispensé de toute reddition de comptes.

Cela est-il suffisamment clair et connu pour que d'autres instances se sentent plus directement concernées? Le martyre des millions de Palestiniens parqués depuis trente-cinq ans dans des baraquements indignes de l'humanité a-t-il duré assez longtemps pour que les Nations Unies se souviennent enfin de la résolution 242¹ adoptée au lendemain du déferlement israélien et bafouée depuis par Israël et les États-Unis? Strictement rien, à notre honte commune, ne permet de le croire. Jean Chrétien, qui situe mal le Proche-Orient, mais qui souhaitait récemment verser le lac de Tibériade dans les coupes israéliennes, n'a rien à dire quant au comportement d'Ariel Sharon. Kofi Annan, qui s'en remet servilement aux États-Unis de tenir les rencontres dont il devrait décemment se charger, pleurniche sur les risques de guerre totale que comportent les présentes émeutes. Et puis après?

Ce qui, toutefois, s'accrédite, malgré la propagande américaine et la redoutable efficacité de la rectitude politique, c'est que la démocratie n'a pas grand-chose à voir avec la présente gestion de la planète. La force règne et se maquille de façon de plus en plus distraite, avec les risques que cela comporte. L'ONU ne remplit pas son rôle. L'Assemblée générale, qu'on a réunie en grande pompe pour le futile sommet du millénaire, n'a rien à dire et ne souhaite rien entendre. Le Conseil de sécurité fonctionne dans la clandestinité, le caprice, le mensonge. L'ONU reçoit en coulisse les directives qui gouvernent son comportement public. Elle se tait si Washington s'arroge le droit d'arbitrer. Doit-on répéter, dans son simplisme grossier, le même « et puis après »? Peut-être.

Pareil désintéressement comporte, répétons-le sous peine d'être aussi bêtes que les générations qui n'ont vu poindre ni le nazisme ni le goulag, des risques considérables. Les agressions que cautionnent les États-Unis sont si blessantes que le tiers monde au complet s'en trouve blessé. Certes, le clivage idéologique semble effacé et il n'est plus de gauche militante qui prétende arriver au grand soir avant le libéralisme sauvage. Il est clair, cependant, que les trois quarts de l'humanité jugent criminels les tirs de roquettes israéliens qui répondent aux frondes des enfants palestiniens. Il est tout aussi évident que l'Amérique achève de se discréditer en partageant la responsabilité des émeutes à parts égales entre ceux qui ont agressé et ceux que l'agression a mis en branle.

Nos médias, bien sûr, insistent pour nous vanter leur neutralité. Ils donnent, disent-ils, les deux points de vue. Le même raisonnement conduisait autrefois au même simulacre d'équilibre : un quart d'heure au rabbin, un quart d'heure à Hitler. Ce n'est pas parce que l'enclume a changé de continent et que d'autres mains jouent du marteau que les mêmes sophismes n'ont plus cours. Pauvres Palestiniens.

Laurent Laplante dixit.

¹ Résolution 242 (format PDF)

© Laurent Laplante et Les Éditions Cybérie


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