Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 31 août 2000
Croyants ou carriéristes?

Ce n'est pas d'aujourd'hui que des gens rompent avec le parti qui leur était familier.  Ce n'est d'ailleurs pas un mal que l'on sache, à propos de principes, préférer sa conscience à la discipline de parti.  C'est aussi une liberté appréciable que de ne pas être bleu ou rouge de père en fils.  Mais quand la réorientation est dictée par la seule lecture des sondages, le virage n'inspire aucun respect.  Pas plus quand il se produit dans les rangs conservateurs que chez les bloquistes.

Sous peine de se déprécier en démagogie, l'activité politique se fonde sur la conviction.  Quand une femme ou un homme sollicite des votes, il faut que ce soit au nom d'un projet, à partir du désir de changer la société.  Si cette motivation fait défaut, c'est avec la plus lucide méfiance qu'il faut surveiller celui ou celle qui brigue les suffrages.  En effet, la recherche du pouvoir n'est respectable que si une utopie lui sert de moteur.  Que l'utopie fasse défaut et la quête du pouvoir n'attirera que les ambitieux, que les carriéristes, que les profiteurs, tous individus dont la collectivité doit se méfier.

Quand, trompés le temps d'une campagne électorale par Duplessis qui avait fait semblant de partager leurs convictions anti-trusts, des hommes comme René Chaloult et Philippe Hamel s'éloignent de lui et de son parti, leur défection les honore.  Quand Jean Lesage quitte la scène fédérale pour défendre à Québec le programme de Paul-Émile Lapalme et mettre en branle la révolution tranquille, on peut penser qu'il entendait doter enfin le Québec d'un État moderne et articulé.  Quand René Lévesque quitte le parti libéral de Jean Lesage pour promouvoir la souveraineté-association, ce n'est certes pas pour décrocher une sinécure.  Quand Arthur Tremblay, après une existence de conviction fédéraliste, passe à un credo opposé, c'est au terme d'un réexamen courageux et minutieux*.  Et quand, en France, Jean-Pierre Chevènement présente sa démission au premier ministre Jospin, il le fait, à tort ou à raison, parce qu'il entretient en lui une certaine idée de l'État républicain.  Dans chacun de ces cas, la conscience parle.

Rien de ce courage et de cette foi n'est observable dans le morne ralliement de militants conservateurs et bloquistes au parti de Stockwell Day.  Un congrès a lieu qui, selon la coutume, augmente la popularité d'un parti.  Une course à la direction voit triompher celui que les analystes et le public n'attendaient pas et qui, par conséquent, bénéficie d'une aura.  Sans surprise, les sondages révèlent que la nouvelle Alliance canadienne a davantage de visibilité et peut-être plus d'appuis.  Dociles et simplistes, les médias font un plat avec le moindre propos de l'élu et lui servent de piédestal.  C'est pourtant ce bilan, fascinant mais fragile, qui incite d'anciens députés bloquistes et certains militants conservateurs à changer d'allégeance et à se ranger désormais aux côtés de Stockwell Day.

Conversion tardive mais sincère?  C'est peu probable, surtout dans le cas des anciens députés bloquistes.  Quand les deux transfuges tentent de se justifier en affirmant que les Québécois ne veulent pas de l'indépendance, ils ont peut-être raison, mais cela n'explique en rien leur ralliement à l'Alliance canadienne.  Le fossé est, en effet, trop large entre ce qui a donné son sens au Bloc québécois et ce que préconise Stockwell Day pour que l'on puisse passer d'une rive à l'autre sans se trahir au moins une fois.  Le Québec, depuis quarante ans, invente, en connivence avec l'État, les institutions dont il a besoin pour épanouir son identité et pour réduire les disparités entre les individus; Stockwell Day est de ceux pour lesquels l'État le plus absent est le meilleur État.  Le Québec, du point de vue des droits fondamentaux, interprète avec une bienveillance parfois craintive mais réelle les demandes qui concernent les homosexuels, les jeunes contrevenants, les familles monoparentales; Stockwell Day préfère les formules punitives et le pari sur les forces du marché.  Ou bien les deux anciens députés bloquistes ont défendu pendant des années des thèses auxquelles ils ne croyaient pas, ou bien ils s'apprêtent à le faire.

Le cas des militants conservateurs qui dérapent vers Stockwell Day est différent.  Depuis le départ de Brian Mulroney, ils sont dans la dèche.  Faute de profondeur et de travail, Jean Charest ne leur a jamais donné un programme modernisé et séduisant.  Joe Clark, malgré son ouverture d'esprit et peut-être à cause d'elle, n'a jamais imposé le parti conservateur comme une riposte efficace au style pitbull de l'équipe Chrétien-Dion.  Ces militants conservateurs n'ont donc pas besoin de renier un programme ou une philosophie pour se joindre à Stockwell Day; il leur suffit de détester Jean Chrétien plus qu'ils n'aiment les lambeaux du parti conservateur.

Au fond, peut-être le libéralisme ambiant influe-t-il autant sur les partis que les États.  Quand le FMI et l'OMC décident à la place des États, les calculs des individus ont bien le droit de se substituer aux programmes des partis.  L'exemple, d'ailleurs, vient de haut : Lucien Bouchard et Jean Charest ne sont-ils pas des transfuges dont la fidélité au programme de leurs nouveaux partis n'est pas toujours évidente?


*Arthur Tremblay, Meech Revisité - Chronique politique, PUQ, 1998.

Alliance canadienne

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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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