Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 24 juillet 2000
À Camp David, il y a déjà un perdant

Pour divers motifs, les discussions menées au Camp David donnent l'impression de se dérouler dans un monde irréel.  Avant d'engager le débat, on a veillé à le décrire comme une mission impossible.  On a ensuite recouru à la trompette et au silencieux.  La première pour amplifier les attentes, le second pour inviter les participants et les médias à une discrétion contre nature.  Enfin, la présidence américaine s'est calmement installée dans le fauteuil que devrait occuper Kofi Annan.

En se substituant au secrétaire général de l'ONU, comme l'avait déjà fait Jimmy Carter, le président Clinton engageait les négociations dans la mauvaise voie.  On aura beau faire appel au pragmatisme et reconnaître la suprématie militaire américaine, l'anomalie doit pourtant provoquer un sursaut : à quoi sert l'ONU quand la Maison blanche siège en appel de ses décisions?  Si l'ONU s'est prononcée clairement pour le retour d'Israël à l'intérieur des frontières de 1967, comment se fait-il que Camp David II fasse de ces frontières un objet de négociations?

Kofi Annan s'est transformé une fois de plus en courant d'air.  Comme d'habitude, il aura quelque chose à dire après les événements, alors qu'on attendrait de lui qu'il pèse de façon déterminante sur le cours des choses.  Si la rencontre se termine sans changement majeur, il regrettera, un sanglot dans la voix, que les parties soient demeurées drapées dans l'intransigeance, il remerciera le président Clinton de ses efforts, il invitera chacun à préférer quand même la voie du dialogue au fracas des armes et du terrorisme.  Cela, de la part de l'organisme international dont le prestige est mis à mal depuis des décennies dans cette région du monde, est un aveu et une honte.  Ce qui s'est produit en Bosnie, au Kosovo, au Rwanda n'a visiblement rien enseigné à Kofi Annan.  Il continue à regarder les drames ensanglanter la planète, à lire avec un retard incompressible les rapports qui dénoncent la passivité de la communauté internationale et à pleurer ensuite à l'ombre de son Mur des lamentations personnel.

En regardant ailleurs pendant que se déroulent les discussions de Camp David, Kofi Annan laisse s'accréditer dans l'opinion mondiale l'impression que les États-Unis, parce que nantis de la suprématie militaire, sont, en toutes choses, d'une exemplaire neutralité et peuvent arbitrer en toute légitimité.  Pareille perception de la situation heurte pourtant l'évidence de plein fouet.  D'une part, c'est précisément parce que le monde a souffert des déferlements de la force que l'ONU est née sur les ruines de la Société des nations.  S'incliner devant les bruits de bottes, c'est stériliser l'histoire.  D'autre part, la collusion entre Washington et Israël est trop patente et trop viscérale pour que Yasser Arafat ne se soit pas senti confronté non pas à un adversaire, mais à une connivence entre cet adversaire et l'arbitre.  Kofi Annan aurait voulu piéger Yasser Arafat qu'il n'aurait pas agi autrement.

Pas un mot pour rappeler aux acteurs de Camp David les positions de l'ONU; pas un mot pour réclamer qu'on revienne non à l'arbitrage de la Maison blanche, mais aux accords d'Oslo; pas un mot pour situer l'ONU dans le courant auquel appartiennent Amnistie International et Human Rights Watch et pour rappeler à tous l'importance des valeurs.

Les silences de l'ONU abandonnent l'échiquier du Proche-Orient aux factions extrémistes.  Dans le camp palestinien, la sinueuse navigation de Yasser Arafat n'a pas désarmé les clans qui ne se sont même pas résignés encore à l'existence d'Israël.  Du côté israélien, la situation est pire.  Une frange de l'opinion se fonde sur la Bible pour refuser l'idée même d'une rétrocession des territoires conquis en 1967.  Mais le pire provient du gouvernement israélien qui poursuit à des rythmes variables son implacable occupation du territoire et qui renforce sourdement la résolution des colons juifs.  On devrait pourtant savoir à quoi mènent les absolutismes, savoir que la certitude du Grand Soir conduit au goulag, savoir que le mythe aryen construit les fours crématoires, savoir que des prétentions territoriales censément fondées sur la Bible garantissent à trois millions de Palestiniens un autre cinquante ans d'humiliations dans des baraquements, savoir que l'autre, juif ou Palestinien, a droit lui aussi à un État.  On devrait savoir tout cela, mais on ne le sait pas. Et on ne le sait pas parce que celui qui devrait servir ces rappels a cédé son fauteuil.

Camp David II possède déjà son perdant : l'ONU.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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