Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 10 juillet 2000
Une démocratie aux contours nébuleux

Les États-Unis viennent de manifester avec un simplisme renouvelé leur propension à s'ériger en interprètes suprêmes de la démocratie.  Si tel est le bon plaisir de Washington, un régime qui pratique le règne du parti unique, comme le Koweit ou la Tunisie, reçoit l'auréole démocratique.  Pour ce motif, la conférence qui vient de réunir à Varsovie une centaine de pays à propos du développement de la démocratie ne mérite qu'un froncement de sourcil.  À moins que...

La conférence de Varsovie a accouché, selon la coutume, d'un texte alambiqué.  Le communiqué final s'est ouvert sur un énorme et glorieux malentendu : « La communauté des démocraties... », alors même que, de toute évidence, plusieurs des signataires n'ont pas la moindre sympathie pour les mollesses de ce mode de gouvernement.  Dans un effort pour s'extirper du ridicule, la brumeuse communauté en question reconnaissait ensuite, il est vrai, que les pays se trouvent aujourd'hui « à des stades différents du développement de la démocratie ».  Le bémol, cependant, au lieu de nuancer la prétention initiale, achevait de la rendre ridicule et trompeuse.  Les États-Unis, inspirateurs de la conférence et du texte, confondent visiblement démocratie et hégémonie, force et clarté, substance et aspects secondaires.

La France, seul des 107 pays invités à Varsovie, a refusé d'apposer sa signature sur ce fourre-tout.  Il n'est pas dit pour autant que le raisonnement du chef de la diplomatie française, Hubert Védrine, fournisse des balises plus fiables.  La question, en effet, n'est pas de savoir si, comme l'a affirmé M. Védrine, les Occidentaux ont tendance à faire de la démocratie une religion ni s'ils ont une désagréable tendance au prosélytisme en faveur de cette religion.  Il s'agit, en effet, de deux choses différentes.  La démocratie, d'une part, mérite depuis 1948 un statut équivalent à celui d'une religion, tandis que, d'autre part, la propension américaine et peut-être occidentale à imposer tel type de démocratie est une aberration.  En confondant les deux aspects, M. Védrine use de mauvais arguments pour se dissocier d'une mauvaise conclusion.

Que la démocratie doive être non seulement la religion des Occidentaux, mais celle de toute la planète, cela découle de la Déclaration universelle des droits.  Les différents articles de la Déclaration sont méthodiquement bafoués un à un quand un État brime la liberté de presse, impose le parti unique, refuse l'éducation gratuite au stade élémentaire, restreint le droit de chacun à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique.  Tous les pays qui ont souscrit à la généreuse utopie de 1948 s'engageaient à respecter à l'intérieur de leurs frontières un ensemble de droits qui, à toutes fins utiles, équivalent à la démocratie.  Tous, par leur signature, s'imposaient le respect de ce credo.  Plusieurs des pays présents à Varsovie et qui ne rougissent pas de se dire membres de la communauté des démocraties ont depuis longtemps cessé de respecter leur signature.

Rien, cependant, dans la Déclaration universelle des droits, n'astreint les États à pratiquer tous une seule et unique forme de régime démocratique.  Les élections primaires à l'américaine sont, à titre d'exemple, une parodie de démocratie que l'on préférerait n'exporter nulle part dans le monde.  Les incessants amendements que la France n'en finit plus d'apporter à ses successives et instables constitutions indiquent, dans le même esprit, qu'un régime démocratique peut, sans perdre son label, modifier ses traits, parfois en profondeur.  On ne doit pas confondre la démocratie avec les visages qu'elle peut prendre ici et là.

On en arrive ainsi à une distinction que n'ont retenue ni le club bigarré rassemblé par Washington ni la diplomatie française : ce qui importe et qui exige discussion, ce n'est pas que la démocratie en soit à des stades différents de développement, mais qu'elle peut s'incarner de diverses manières.  Ce n'est pas parce que la Tunisie en est à un stade intermédiaire de son cheminement vers la démocratie qu'elle musèle la critique et se ridiculise par des scores électoraux de 99 %; c'est parce qu'elle ne veut pas de la démocratie.  Et quand M. Védrine accuse les Occidentaux d'un arrogant prosélytisme en faveur de la démocratie, il confond l'essentiel et le détail, la démocratie et le visage occidental de la démocratie.  Rappeler aux signataires de la Déclaration qu'ils ont souscrit à la démocratie, c'est la tâche et le devoir de l'ONU et cela ne s'appelle pas « vouloir convertir les autres ».  Vouloir imposer à toutes les cultures et à tous les pays le même régime présidentiel, la même durée des mandats électoraux, c'est, en effet, outrancier, mais on ne parle plus de la même chose.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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