Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 26 juin 2000
Réflexions sur une fête nationale

Pour bon nombre de pays et de collectivités, la fête nationale rime avec réjouissances, harmonie, répit.  La France fête son 14 juillet dans tous les coins du monde qui gardent contact avec la culture française.  Des deux côtés de l'Atlantique, la Saint-Patrick fait déferler dans les rues une marée verte et des trèfles souriants.  Les Américains célèbrent leur 4 juillet comme le jour où la terre a surgi du big bang.  Au Québec, la fête de la saint Jean cherche ses marques d'année en année.

On remarquera, en effet, la géométrie variable qui, au Québec, s'applique à la fête nationale.  Une année, c'est une procession.  L'année suivante, un feu de joie.  Un 24 juin privilégie la fête sur la montagne, un autre les prudentes petites célébrations décentralisées.  Cette année, tant à Québec qu'à Montréal, la bonne humeur était pourtant au rendez-vous.  Des centaines de milliers de personnes, jeunes et moins jeunes, de l'école Vigneault et Forestier ou baignées de décibels cosmopolites, ont chanté, dansé, applaudi.  Toujours portés au vampirisme, les journalistes ont quand même pris soin, avant, pendant et après la célébration, de signaler que la police de la Communauté urbaine de Montréal avait mobilisé 800 hommes au cas où, que toutes les précautions avaient été prises à Québec, que, jusqu'à maintenant, tout se déroulait sans incident majeur.  Comme si la nouvelle, dans le moderne journalisme de l'agenda setting, n'était plus ce qui s'est produit, mais ce qui, d'après le spéculateur médiatique, pourrait peut-être se produire.  Comme si, au lieu de raconter l'événement, il fallait extrapoler, envisager, jongler, bref jouer les brillants devins.  Comme si, en l'absence d'incident, une compensation heureuse était d'évoquer les incidents imaginés.  Si, après tout, le pire se produit, le journaliste pourra dire qu'il l'avait prédit.  Si rien ne se produit, le journaliste oubliera qu'il a substitué ses états d'âme à l'information.

Autour de la fête, d'autres vampires se manifestent.  Au premier rang, les brasseurs.  Il faut, en effet, comme dans tous les Munich ou les Rio du monde, baigner le carnaval dans un liquide populaire.  Brel le reconnaissait qui affirmait que ça sent la bière de Londres à Berlin.  Que la fête nationale des Québécois fasse grand usage du houblon ou du maïs (transgénique ou pas), voilà qui n'a donc rien de scandaleux ou d'étonnant.  Il est triste, bien sûr, que les lieux de la fête aient besoin le lendemain de centaines d'éboueurs, mais ils étaient des milliers à Paris à nettoyer après la fête du faux bogue de l'an 2000.  Jusque-là, rien de très civique, mais rien d'anormal.

Un brasseur et ses publicitaires ont pourtant réussi, dans ce cadre tolérant, à se démarquer grossièrement.  Voici le texte gluant commis par la brasserie Old Milwaukee à l'occasion de la saint Jean : « Bientôt, des milliers de drapeaux fleurdelisés planeront comme des oiseaux d'océan sur des marées humaines.  Bientôt, le même grand cri patriotique jaillira de milliers de gorges : ON A SOIF! »  Les majuscules ne sont pas de moi, mais de publicitaires à l'humour visqueux, à l'inculture indécrottable, à la boulimie fangeuse.  Ceux-là auront voulu pousser à un nouveau sommet le sophisme cher à Benetton : « La preuve que notre publicité est efficace, c'est que vous en avez parlé... »  Dire que, pendant ce temps, nos écoles se demandent s'il n'est pas temps de solliciter le soutien publicitaire pour financer la formation des jeunes.

Et tandis que le Québec réel, non celui des spéculations hasardeuses, danse et chante sa paisible fête nationale, des voix d'outre-Atlantique rappellent aux Québécois qu'ils ont, en effet, de quoi éprouver la plus vive fierté.  C'est, à titre d'exemple, la ministre française de la Culture qui fustige ses compatriotes pour leur dangereuse et coupable indifférence devant le déclin du français.  Son terme est brutal : automutilation.  La francophonie, dit la ministre Tasca, s'enlise dans l'insignifiance, non tant à cause du dynamisme de l'anglais, mais parce que la France abdique.  Méthodiquement.  Au jour le jour.  Dans les tours de contrôle de Charles-de-Gaulle comme dans les nominés et les sponsors de la télévision en passant par les start-up qui ignorent les incubateurs et par les débats de plus en plus anglais de l'Union européenne.  Le message de la ministre ne se voulait pas un hommage aux Québécois à l'occasion de la saint Jean; il en est un.

Car le Québec ne se borne pas à parler en terre d'Amérique une langue à laquelle l'élite de la France renonce en terre européenne.  Le Québec ose davantage : il fonce dans l'univers informatique et dans la mondialisation en apportant avec lui ses outils linguistiques.  Le Québec a compris, en effet, qu'il ne sert de rien de maintenir des écoles française si l'on abandonne ensuite les diplômés au raz-de-marée anglicisant. La ministre française estime visiblement que la francophonie, la France au premier chef, n'a pas compris cela.

Bons lendemains de fête!




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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