Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 22 juin 2000
Pas de Cour pénale pour les Grands?

Cent vingt pays se sont réunis à Rome en 1998 pour créer une Cour pénale internationale appelée à juger les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.  À ce jour, 97 pays ont signé l'entente alors obtenue.  Cela n'est cependant que poudre aux yeux, car la signature n'engage pas.  Seule la ratification signifie quelque chose.  Or, il faut 60 ratifications.  On en a 12.  Quatre des cinq membres permanents du Conseil de sécurité n'ont rien ratifié.

Bornons-nous aux évidences et laissons aux spécialistes le soin d'établir de fines nuances entre cette éventuelle Cour pénale internationale et ce que l'humanité a commencé à mettre en place pour déboulonner les impunités à la Pinochet.  Oublions également l'expérience pilote que constitue à certains égards le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie.  Admettons simplement, en retrouvant dans notre oublieuse mémoire l'horreur ressentie il y a peu à propos de la Somalie, à propos du Rwanda, à propos de la Bosnie-Herezégovine, à propos de la Tchétchénie, à propos de la Sierra Leone, que nous sommes tous déshonorés si les crimes qui s'y sont perpétrés ne reçoivent pas leur sanction.  Si l'on admet cela, la création d'une Cour pénale internationale est justifiée.  C'est tout.

Mais ce n'est pas ainsi que raisonne la communauté internationale et surtout pas ainsi que les pays les plus puissants voient les choses.  Car les douze ratifications sont venues de pays modestes : Belize, Fidj, France, Ghana, Islande, Italie, Norvège, San Marin, Sénégal, Tadjikistan, Trinidad et Tobago, Venezuela.  Seule détonne, dans cette courte liste des pays méritants, la présence française.  Quand aux quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité, leurs attitudes vont de la distraction à l'opposition hargneuse.  La Grande-Bretagne a signé le traité, mais ne l'a pas ratifié.  La Russie l'a accepté à Rome, mais ne l'a même pas signé encore.  La Chine et les États-Unis ne l'ont ni accepté, ni signé, ni ratifié.

La France, quant à elle, a joué les astucieuses, au point de perdre en bonne partie le mérite de sa ratification.  C'est elle, en effet, qui a fait ajouter à l'entente le honteux article 124 : il permet aux pays signataires de récuser pendant sept ans la compétence de la Cour pénale internationale.  Façon passablement tordue de dire oui tout en disant non, mais en disant oui.

Les choses achèvent de se dégrader avec l'offensive honteuse et coléreuse que mènent les États-Unis contre l'entente intervenue à Rome.  En un mot comme en cent, les États-Unis ne veulent pas d'un tel tribunal.  Madeleine Albright l'a dit, l'a écrit, l'a martelé.  Elle le redira à New York dans quelques jours.  Ce n'est qu'un volet de l'obstruction américaine.  Voici, en effet, que les sénateurs américains Jesse Helms et John Warner, flanqués de deux membres de la Chambre des Représentants, ont déposé un projet de loi qui transforme le refus américain en menace de représailles.  Au terme de ce projet de loi, les États-Unis refuseront désormais leur aide aux pays qui ratifient l'entente de Rome et ils exigeront l'immunité totale pour les Américains appelés à servir dans les missions de l'ONU.  On croit rêver.

Une chose est claire : les États-Unis, la Russie et la Chine ne veulent pas d'un tribunal international traitant leurs ressortissants comme ceux des autres pays du monde.  Eux entendent utiliser la force comme ils l'ont toujours fait et ne jamais répondre de leurs actes devant une cour internationale.  Les États-Unis poussent l'illogisme et l'arrogance un cran plus loin : ils se réservent le droit (?) de pratiquer l'ingérence dans les affaires des autres pays tout en refusant à un tribunal international la possibilité de juger les crimes commis par des Américains.  L'ONU ne trouve grâce aux yeux de Washington que si elle sert les fins américaines.  Tout cela de la part d'un pays qui donne aux autres des leçons de démocratie sans même payer sa contribution à l'ONU.

N'oublions quand même pas de saluer au passage l'assourdissant silence canadien dans ce débat.  Le Canada, on le sait, fait souvent partie des interventions de l'ONU.  Le Canada a fait la preuve, d'autre part, particulièrement en Somalie, que son armée n'avait pas le cran de sévir contre les têtes brûlées qu'on retrouve dans ses rangs.  Le Canada n'a pas compris encore qu'il n'appartient pas à un tribunal militaire de juger un militaire accusé de torture, mais que les sadiques, militaires ou pas, doivent faire face à une justice neutre et crédible.  Le Canada, en somme, fait partie des pays qui ont besoin d'une Cour pénale internationale.

Mais le Canada n'a pas encore ratifié l'entente de Rome. 




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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