Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 29 mai 2000
Les défis peut-être africains de l'ONU

À première vue, les poudrières qui explosent une après l'autre en sol africain témoignent brutalement des carences de l'ONU.  Les milliers de casques bleus dépêchés ici et là ne réussissent pas, affirme-t-on, à empêcher quoi que ce soit.  Certains iraient même jusqu'à affirmer que les soldats onusiens nuisent plus qu'ils n'aident en devenant eux-mêmes une monnaie d'échange entre les mains d'intérêts hors de contrôle.  Ni l'ONU ni l'Afrique ne sont pourtant seules en cause.

L'ONU porte plusieurs hypothèques.  Certaines d'entre elles méritent et reçoivent une attention particulière.  Par exemple, son manque de ressources et un respect variable des souverainetés nationale.  La première déficience l'empêche d'intervenir avec suffisamment de vigueur, la seconde la fait traiter différemment des crises pourtant comparables.  Les deux faiblesses se conjuguent pour rendre les gestes de l'ONU lents, pusillanimes et imprévisibles.  Si, en effet, le but d'une action onusienne est de mettre à la raison des chefs de guerre qui ne comprennent que le langage de la force, ce n'est pas en se traînant les pieds et en s'attaquant à plus fort que soi qu'on rendra ces actions heureusement redoutables.  Si, d'autre part, l'ONU veut guider la planète vers la paix et l'équité, ce n'est pas en frappant les pays faibles et en tolérant les exactions des puissants qu'elle méritera le respect de tous.

Soit.  Reste cependant à démontrer que l'ONU est seule responsable de ces graves déficiences.  Ce n'est pas certain.  Si, en effet, l'organisme manque de ressources et parvient rarement à transporter suffisamment de soldats sur les lieux d'un affrontement, la faute en est aux pays, les États-Unis en particulier, qui refusent de payer leurs cotisations.  Si, par exemple, l'ONU pouvait tabler sur le milliard et demi que lui doivent les États-Unis, il est permis de croire que les contingents dépêchés par l'ONU prendraient du tonus.

Le plus scandaleux dans l'attitude américaine est qu'elle découle non pas d'une quelconque incapacité de payer, car les frappes contre Belgrade ont coûté beaucoup plus, mais d'un entêtement d'ordre moral.  D'importants groupes de pression, immensément influents au sein du pouvoir législatif, affament délibérément l'ONU parce que l'organisme prend à propos de l'avortement des positions qu'ils rejettent.  Si le bras social de l'ONU mène campagne pour la limitation des naissances et, par ricochet, pour la légalisation de l'avortement, ces groupes américains militent contre le versement de la cotisation de leur pays.  Les États-Unis en arrivent ainsi à émasculer l'ONU parce que l'ONU n'adopte pas les positions républicaines face à l'explosion démographique.  Autant dire que l'organisme international officiellement chargé d'assurer le règlement des différends n'aura les moyens de son mandat que s'il accorde plus d'importance à l'intolérance d'un groupe américain qu'aux volontés exprimées par l'ensemble de la planète.

Une autre hypothèque que porte l'ONU n'est imputable qu'en partie aux États-Unis.  Elle découle de ce que certains pays n'acceptent pas la règle commune et ne se plient aux résolutions de l'ONU que s'ils y trouvent leur compte.  Ceux-là font bande à part, pratiquent ouvertement la délinquance qui leur convient et minent délibérément la crédibilité de l'ONU.  Les gagnants de la guerre de 1939-1945 font partie de ce groupe de récalcitrants : les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et l'Angleterre.  Ceux-là enseignent la démocratie aux autres, mais brandissent un aristocratique droit de veto chaque fois qu'ils jugent bon de se placer au-dessus de la plèbe.  À ce groupe s'ajoutent un certain nombre de pays qui comptent sur leur démographie ou sur leur arsenal militaire pour accéder à l'impunité.  Les privilèges découlant de l'histoire militaire du vingtième siècle et le poids du groupe prévalent ainsi sur les principes démocratiques de l'ONU.

Quand cela se produit, il est tristement prévisible que la Russie traitera la Tchétchénie sans tenir compte des appels à la décence que lui lance la communauté internationale, que la Chine interprétera selon ses caprices la déclaration des droits, que les États-Unis, la France, la Russie continueront à produire et à vendre les armes que l'on utilise dans les conflits africains ou moyen-orientaux, qu'Israël, grâce à l'endossement américain, fasse fi des résolutions de l'ONU, que l'Inde et le Pakistan ignoreront les plaidoyers au sujet de la non-prolifération des armes nucléaires...  On blâmera ensuite l'ONU d'une faiblesse qu'on aura provoquée.

Et l'Afrique dans tout cela?  Et les interventions de l'ONU en Afrique?  Assistons-nous à la rencontre entre un continent truffé de volcans et une organisation internationale verbeuse et inefficace?  Ce n'est pas si simple.  Car les torts des pays développés à l'égard de l'Afrique sont aussi grands que leurs torts à l'égard de l'ONU.  L'Afrique, en effet, n'entre pas ou guère dans les projets d'investissements des pays riches.  Lorsqu'on daigne traiter avec elle, c'est avec arrogance et en cultivant cyniquement les propensions de ce continent pauvre à gaver surtout ses élites politiques, militaires et religieuses.

Il n'y a pas si longtemps les grandes puissances entretenaient de leur mieux la guerre entre l'Iran et l'Irak, car elles y trouvaient leur compte.  Leur façon de traiter l'ONU et l'Afrique rappelle cette triste période.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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