Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 18 mai 2000
Tout petit frisson sur la scène politique

Nos partis politiques ont de sérieux problèmes d'identité.  À tel point qu'ils ne savent pas comment se désigner eux-mêmes.  L'un de nos partis fédéraux se qualifie de progressiste conservateur, comme s'il voulait tenir un pied sur le frein et l'autre sur l'accélérateur.  Le Parti québécois a été fondé par un René Lévesque qui répugnait à lui octroyer un nom aussi ambitieux.  Et voilà que le Reform Party, pour bien signifier que sa réforme vise à tout niveler par en bas, adopte comme étendard celui de l'Alliance canadienne.  Autant dire que la réforme saura se faire tout à tous et préférera les consensus faciles et racoleurs aux audaces dont le pays aurait besoin.

Bien sûr, ces flottements identitaires ne se produisent pas seulement au sein des partis politiques canadiens.  Quand, au Mexique, un parti conserve pendant trois quarts de siècle le nom de Parti révolutionnaire institutionnel sans se sentir ridicule ou en contradiction avec lui-même, il démontre qu'on peut se présenter en guide du peuple sans savoir qui on est.  Une révolution qui s'institutionnalise n'a, en effet, plus rien de révolutionnaire.  Andersen dirait que le roi est nu, mais qu'il ne le sait pas.

Pour être répandu, le flottement identitaire est-il pour autant bénin?  Certes pas.  La fausse représentation, déjà malhonnête quand elle sévit chez les vendeurs itinérants ou dans les marchés aux puces, devient un fléau meurtrier quand elle empêche les gens de choisir leurs dirigeants en connaissance de cause.  Il est, en effet, paradoxal et surtout dévastateur de prendre les commandes d'une démocratie en lavant au préalable les cerveaux des démocrates qui votent.  Le mensonge, que les stratèges décriront comme une inoffensive astuce et une bien excusable habileté, se loge ainsi à la base même de l'aventure politique.  S'avancer masqué devant l'électorat, c'est une étrange manière de mériter la confiance.  Pour ne pas entrevoir la gravité de la chose, il faut concevoir la démocratie comme un tournoi où l'emporte celui qui manipule le mieux.

Que la nouvelle Alliance canadienne ne soit qu'une nouvelle mouture de l'ancienne farine réformiste, comment en douter?  Même discours, mêmes têtes, simple souci cosmétique, même démagogie punitive.  Le pire, c'est qu'on entrevoit mieux les dégâts que causera l'Alliance que les fruits heureux dont elle se prétend porteuse.  Autant il est clair qu'elle peut nuire, autant il est douteux qu'elle puisse se révéler utile.  Car l'Alliance ne réussira ni à constituer une alternative au gouvernement de M. Chrétien, ni, ce qui est plus grave, à faire souffler sur le pays un vent de plus grande justice sociale.  Au contraire, l'Alliance accentuera sa pression démagogique en faveur de tout ce qui flatte les préjugés et nourrit les disparités économiques.  L'Alliance continuera à revendiquer une loi plus sévère pour les jeunes contrevenants et à nier que l'évolution sociale exige non pas moins mais plus de compassion.

Quand l'Alliance maraude à proximité du congrès conservateur de Québec, deux faits attirent l'attention, qui conduisent tous deux à la même inquiétude.  Le premier, c'est que l'Alliance, quoi qu'elle en dise, considère le vote conservateur comme celui qu'elle peut séduire le plus aisément.  Le second, c'est que les conservateurs, et particulièrement les plus jeunes d'entre eux, éprouvent un agréable vertige quand s'approchent les sirènes de l'Alliance.  Ces deux faits soulignent à quel point c'est de droite qu'il est aujourd'hui question.  De droite, de droite et de droite.  À droite les conservateurs.  À droite l'Alliance canadienne.  Vers la droite un Nouveau Parti démocratique (NPD) qui aimerait bien séduire la petite entreprise.  À droite un gouvernement libéral qui privatise à tours de bras et qui légifère de manière à disputer à l'Alliance canadienne le vote frileux des Prairies.  Quand au Bloc québécois, il protège de son mieux le flanc du gouvernement péquiste qui, lui aussi, a planté sa tente à droite.

Conclusion?  La plus évidente, c'est que le capitalisme qui poursuit sa progression en se dissimulant sous le nom de mondialisation ne trouve au Canada aucun obstacle sur sa route.  Une autre conclusion, presque aussi assurée et guère plus emballante, c'est que la fragmentation des partis de droite fait le jeu du Parti libéral de Jean Chrétien.  Que les libéraux se présentent à la prochaine élection avec Paul Martin comme chef plutôt que Jean Chrétien leur sera tout simplement un atout supplémentaire.

On voit l'alternative : ou bien la droite parvient à former un front uni ou bien elle se présente à la bataille en pièces détachées.  Que l'unité lui soit rentable ou que la fragmentation lui vaille une autre défaite, le pays continuera à rouler docilement dans les ornières que lui impose une certaine mondialisation.  Dans un cas comme dans l'autre, le citoyen canadien aura effectué un choix qui n'en est pas un.  Que notre démocratie se porte bien!



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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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