Dixit Laurent Laplante
Barre de navigation
Québec, le 17 avril 2000
Les humours visqueux

Je déteste à m'en confesser les accents prétentieux, pontifiants, méprisants d'une effarante proportion de nos élus.  Je fulmine avec colère contre nos pragmatiques, possédants, gestionnaires et gloutons stipendiés qui prétendent prouver par leur vide culturel qu'on peut vivre sans lire, sans penser, sans compatir.  Bon.  Cela dit, je déteste les entartreurs et autres démagogues à l'humour visqueux.

Que l'origine de cette répugnante pratique enlaidisse la Belgique ou le Québec, je ne le sais pas.  En revanche, je sais qu'aucune culture ne s'embellit en pratiquant l'entartrage comme l'ultime pratique démocratique.  Il aurait été insuffisant d'entartrer Hitler; il est stérile et trompeur d'entartrer de regrettables démagogues comme Stéphane Dion.  Ce n'est pas une quelconque offensive culinaire qui débarrassera notre vie politique et sociale des parasites qui la polluent.  Et c'est pratiquer un laid et simpliste enfouissement de nos capacités démocratiques que de substituer la tarte au visage à l'humble répétition de gestes libérateurs et quotidiens.  Se justifier en disant - je l'entends d'ici - « je ne suis plus capable de l'entendre », c'est prétendre qu'on peut, en démocratie, interdire même aux imbéciles heureux et même aux politiciens triomphants, le triste droit d'aller au bout de leurs bêtifiantes sottises.  C'est, au fond, refuser sa confiance au peuple.  On devrait quand même le présumer capable, sans que le crémage dégouline aux cils et à la moustache des bêtes publiques, de mépriser ceux qui le méprisent.  Se draper dans les fanions de la protestation démocratique quand on substitue son verdict à celui du commun des mortels, cela me paraît manquer de rigueur.  La tarte aussi est une démagogie.

Je glisse, tant cela respire l'illogisme et la sottise, sur l'explication offerte par une des entartrices québécoises pour expliquer l'inégalité de traitement entre les élus et les vedettes de la mouvance artistique.  Céline Dion, nous dit-on, ne mériterait pas la tarte honteuse, car elle, j'essaie de citer sans rire, « chante l'amour et rend les gens heureux ».  Ce qui équivaut à dire que certains mensonges trompent plus honnêtement que d'autres, que certaines mises en marché sont moins canailles que d'autres, que certaines démystifications urgent moins que d'autres.  Cela me paraît bassement démagogique, trompeur, affligé d'une myopie honteuse.

Mettons quand même les choses au clair. Toutes les sociétés doivent exercer le droit de protestation.  Partout et toujours, il est indispensable que des gens puissent, par l'humour ou autrement, dégonfler la suffisance du pouvoir.  Même devant les monarques les plus despotiques, le fou du roi pouvait, sans trop de risque, dire tout haut devant le trône ce que tout le monde ruminait clandestinement à propos du monarque.  Même Louis XIV s'en est aperçu.  Quand l'humour se portait mieux et surtout plus sainement au Québec, les humoristes se payaient une tranche du pouvoir policier, économique et policier.  Cela était sain, car l'humour rétablissait les équilibres.  Rire de l'assisté social est déshonorant.

Un peu partout dans le monde, les sociétés civilisées ont donc scrupuleusement respecté le droit des citoyens, même dans les contextes et les structures les plus brutalement verticaux, de taquiner les pouvoirs en place.  Dans maintes sociétés, le carnaval n'a pas d'autre fonction que celle de permettre, le temps d'un clin d'oeil, un égalitarisme que niera le reste de l'existence.  Cela, l'inculture et la démagogie de nos entartreurs le nient et le rendent impossible.  Ces gens confondent allègrement leur goût de la protestation instantanée, cabotine et démagogique avec le droit social de rappeler à d'autres démagogues, et aux plus élus d'entre eux, le droit des citoyens ordinaires à une écoute minimale.  Dire au Doge de Venise, à l'occasion d'un carnaval, qu'il a perdu tout contact avec la nature humaine, c'est une chose; pourchasser et ridiculiser un élu jusque dans ses activités politiques normales et souhaitables, c'en est une autre.  De la même manière, dire à un élu, dans un lieu public comme l'Assemblée nationale, ce qu'on pense de ses sophismes, voilà qui est légitime, souhaitable et heureux.  Mais aller manifester devant la résidence d'un élu et prendre sa famille en otage, voilà qui éloigne de la démocratie et rapproche de l'intimidation répugnante.

Nos entartreurs se trompent quand ils confondent droit de critique et intimidation.  Ils nuisent à la démocratie quand ils substituent leur goût du salissage visqueux au droit de vote et de protestation civilisée.  Ils légifèrent sans légitimité aucune quand ils demandent à une sauce quelconque de discréditer le style politique qu'ils honnissent.

La pire erreur qu'on pourrait commettre, ce serait de considérer les entartreurs comme des démocrates.




Haut de la page
Barre de navigation


© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
Dixit À propos de... Abonnement Archives Écrire à Dixit