Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 6 avril 2000
Au seuil des ligues majeures?

Les médias en avaient long à dire au cours des derniers jours à propos de l'Action démocratique de Mario Dumont.  En bien, mais surtout en moins bien.  Le parti demeurait en troisième place dans les sondages et était redescendu, depuis un sommet de 18 % des intentions de vote, à son niveau plus courant de 10 ou 12 %.  Comme pour démontrer que ce jeune parti vieillissait en imitant les autres, on parlait d'enquêtes à son sujet de la part de la Directrice générale des élections.  À cela s'ajoutaient les flottements idéologiques du parti au cours de son congrès de Saint-Hyacinthe.  Heureusement pour l'Action démocratique, l'essentiel était ailleurs.

Ce qui frappait, en effet, plus encore que les trouvailles électoralistes de ce jeune parti, c'est que, parole de sondeur, son chef Mario Dumont aurait rejoint et même dépassé en popularité le chef du parti libéral, Jean Charest.  Pareil constat étonne tellement qu'il faudra attendre d'autres sondages pour y croire vraiment.  On ne peut pourtant pas, tant les autres pans de ce sondage coïncident avec d'autres descriptions du tableau politique, rejeter cavalièrement l'hypothèse.  Si elle devait se confirmer, l'Action démocratique serait plus jamais face à un carrefour, peut-être aussi face à un mirage.

Les autres aspects du sondage, je le répète, ne provoquent aucune surprise.  Le premier ministre, dont la popularité avait subi une baisse marquée, a repris, sans heurt, une partie du terrain perdu.  M. Bouchard traverse sans trop perdre de plumes la délicate phase des négociations et il parle désormais si peu d'un référendum que ses adversaires eux-mêmes en oublient sa préférence constitutionnelle.  Sa cote s'en trouve presque rétablie.  Jusque-là, par conséquent, pas de surprise.

De son côté, Jean Charest ne parvient toujours pas à donner une cohérence minimale à ses propositions.  Il critique les positions gouvernementales, mais ajoute aussitôt qu'il ne se range pourtant pas dans le camp de M. Chrétien.  Ou, ce qui équivaut à la même valse hésitation, il commence par houspiller le gouvernement central avant de rétablir l'équilibre (?) en blâmant quand même le Parti québécois.  Cela est si peu organisé mentalement, si brouillon, si tristement prévisible et stérile qu'il fallait bien s'attendre, tôt ou tard, à un moindre engouement pour M. Charest.  Là non plus, pas de surprise.

L'élément surprenant est donc clairement circonscrit : la nouvelle popularité de Mario Dumont, si elle est réelle, résulte dans une large mesure des piétinements de Jean Charest.  M. Dumont et ses acolytes sautent cependant un peu vite aux conclusions s'ils se voient déjà hissés au statut de deuxième parti politique et d'opposition officielle.  Une belle occasion, certes, s'offre à eux, mais ils n'en profiteront qu'à condition, eux aussi, de présenter à l'électorat plus et mieux que leur verbiage et leur gesticulation.  Crier au complot parce que la Directrice générale des élections s'interroge sur les comportements de certains porte-parole de l'Action démocratique, c'est de la paranoïa infantile, même si le patriarche-maison de l'Action démocratique, Jean Allaire, y succombe lui aussi.  Improviser sur un coin de table de nouvelles règles à propos de la majorité requise pour des changements constitutionnels, c'est de l'irresponsabilité et de la démagogie.  Coucher dans le même lit que Stéphane Dion sans même savoir qui on fréquente, c'est une dangereuse myopie.  S'imaginer qu'il suffira de deux phrases creuses pour détourner anglophones et allophones du giron libéral, c'est succomber à la pensée magique et, en plus, ravaler le programme d'un parti politique au rang d'un jeu de Lego.  Pour importante qu'elle soit, la popularité d'un chef, surtout si elle s'affirme sans signe avant-coureur, ne remplace pas une plate-forme politique.  MM. Bouchard et Charest en sont de vivantes démonstrations.  M. Dumont et son groupe ne profiteront de la nouvelle popularité du chef qu'à condition de hisser leur programme et leur machine à un stade professionnel.  Ce qui n'est pas fait.

Le paysage politique québécois est suffisamment gris par les temps qui courent qu'une pensée originale y serait aisément reconnue et appréciée.  L'Action démocratique a réussi, en protestant à la manière des anciens créditistes, à recueillir un demi-million de votes lors de la dernière élection générale.  C'est énorme, même si notre système électoral n'a pas donné à l'Action démocratique les sièges qu'elle méritait.  Le vide dans lequel se complaît Jean Charest offre à l'Action démocratique la possibilité de gonfler encore cette clientèle.  Possibilité qui ne se révélera féconde que si Mario Dumont passe lucidement au stade exigeant de la réflexion.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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