Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 3 avril 2000
Les myopies de l'exécutif

Dans sa réplique au Vérificateur général, le ministre québécois des Finances a affiché son arrogance du dimanche.  M. Landry a balayé d'un désinvolte revers de la main les critiques de « ce personnage » et a fait savoir que rien ne changerait dans la présentation des états financiers du Québec.  Ainsi, à des cachotteries qui n'avaient déjà rien d'indispensable s'ajoute, de la part de M. Landry et du gouvernement, un choquant mépris des plus fondamentales institutions.

De deux manières différentes, M. Landry s'est conduit récemment en écureuil prudent et discret.  Le surplus auquel aboutissait l'année a été en partie dissimulé.  Pas gaspillé ni volé, mais dissimulé.  On a parlé d'une centaine de millions, alors qu'on aurait pu faire état d'environ 500 millions de plus.  Sur un autre front, M. Landry a laissé en fiducie à Toronto un montant de plus de 800 millions en provenance du gouvernement central et destiné au domaine de la santé.  Cela, pendant que le monde de la santé criait famine.  Encore là, il n'y eut ni dilapidation, ni gaspillage, ni détournement, mais discrète mise sur la touche.  Comportement d'écureuil, non de carcajou.

M. Landry aurait pu invoquer d'excellents motifs pour justifier ses escamotages.  Il lui fallait, face à un gouvernement central qui tenait à présenter un budget capable de forcer la main aux provinces, se préparer aux astuces fédérales.  Si Ottawa abaissait le taux d'imposition des gains de capitaux, Québec devait forcément trouver d'urgence de quoi accorder le même avantage.  Qu'un écureuil prévoyant se prépare à la froidure, cela n'aurait guère choqué.

De la même manière, M. Landry et le premier ministre du Québec avaient sinon de bonnes raisons, du moins de solides prétextes pour laisser dormir en fiducie les 800 millions versés par le gouvernement central pour les soins de santé.  La mention du montant dans les états financiers courants aurait modifié l'évaluation des besoins québécois et modifié à la baisse les prochains transferts.  En outre, on peut penser que les millions subitement apparus dans les coffres québécois auraient été aussitôt aspirés par les négociations du secteur public et parapublic.  N'en pas parler laissait les vis-à-vis syndicaux sous l'impression que le gouvernement québécois s'était rendu à la limite de ses ressources.  Un écureuil prudent ne révèle pas à toute la forêt le contenu de son garde-manger.

Le problème, c'est que M. Landry, au lieu de justifier sa gestion couleur de muraille, s'est hissé sur l'Olympe et a lancé ses foudres contre le Vérificateur général qui n'en méritait pas tant.  M. Breton avait le devoir de signaler les centaines de millions que le ministre des Finances avait mis sous son coude.  Sa responsabilité est de nature spécifiquement comptable et il n'avait pas à prendre en considération les fines stratégies politiques élaborées et suivies par le ministre des Finances.  Cela, M. Landry a fait semblant de ne pas le savoir.

Le comportement de M. Landry est d'autant plus grave qu'il fournit au public un exemple de plus du mépris des règles et des institutions, un exemple qui vient de très haut.  Le Vérificateur général n'est pas à la solde du gouvernement ni à la botte du ministre des Finances.  Il est le représentant de l'Assemblée nationale et non pas un sbire du pouvoir exécutif.  Il examine les gestes du pouvoir exécutif et présente ses conclusions à l'Assemblée nationale.  Quand le pouvoir exécutif s'insurge comme vient de le faire le ministre des Finances, il contribue à affaiblir la composante la plus démocratique de notre édifice politique, le pouvoir des élus.  Cela, notre écureuil ne semble pas l'avoir envisagé.

Cette confusion des rôles et des pouvoirs constitue malheureusement une tendance lourde.  Le premier ministre René Lévesque professait si peu de respect pour le pouvoir judiciaire qu'il pouvait commenter un procès pendant son déroulement et le faire capoter.  Le ministre Picotte, en son temps, piqua lui aussi une colère contre le Vérificateur général.  Les policiers, parce qu'ils ne comprennent pas ce qu'est la loi, se substituent aux élus pour décider ce qui est légitime et pour manifester le révolver sur la hanche.  Sur cette belle lancée, peut-être fallait-il s'attendre à ce qu'un ministre des Finances s'octroie le droit de réprimander le Vérificateur général mandaté pour surveiller les finances publiques.

Ce qu'on apprécie chez un écureuil, c'est rarement son agressivité.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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