Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 20 mars 2000
La souveraineté en proie à la stratégie

Pauvre souveraineté québécoise!  Après avoir résisté tant bien que mal aux analyses des comptables, voilà qu'elle doit subir l'assaut des stratèges et des pondeurs de lois.  Pendant que ces diverses catégories d'alliés de la souveraineté travaillent, en toute amitié bien sûr, à la vider de son sens et de son souffle, ses adversaires ont tout loisir de se détendre et de rigoler.

Souvenons-nous.  Chacune des deux grandes campagnes référendaires a donné lieu à de savantes comparaisons comptables entre ce que le Québec retire de la Confédération et ce qu'il lui en coûte pour demeurer à l'intérieur du Canada.  Souverainistes et fédéralistes épluchaient les comptes publics pour comparer ce que la péréquation et le contrôle canadien sur le coût du pétrole rapportaient au Québec et, dans l'autre colonne, ce que le Québec devait engloutir dans une ribambelle d'institutions fédérales qui, comme l'armée, la Gendarmerie et les chemins de fer, réservaient aux autres provinces l'essentiel de leurs activités.  Beaucoup de chiffres.  La plupart incompréhensibles pour le commun des mortels et à partir desquels les experts proposaient des conclusions contradictoires.  Tant de chiffres qu'on finissait par se demander si un pays doit attendre pour exister que son indépendance produise un profit financier.  Tant de chiffres que la fierté, la dignité, le désir d'une société aménagée autrement disparaissaient au profit des équations.  Comme si une femme et un homme ne devaient vivre ensemble que si une analyse comptable leur prouvait la rentabilité de leur union.  Comme si un jeune ne quitte le foyer familial que s'il s'est prouvé hors de tout doute qu'il est payant de voler de ses propres ailes.

Aujourd'hui, les stratèges ont pris la relève des comptables.  À en croire les discours les plus courants, la thèse de la souveraineté québécoise mobilise aujourd'hui plus de stratèges que de convaincus, plus de poseurs de briques que de constructeurs de cathédrales, plus de vendeurs d'actuces que d'accoucheurs de projets sociaux, plus de mesureurs de bois que d'amants de la forêt. Heureusement, n'en déplaise à tous ces spécialistes autoproclamés, nos parcs publics comptent très peu de monuments édifiés en l'honneur des coulissiers et des comploteurs et aucun à la gloire des comités.

Que les stratèges aient leur utilité, soit.  Depuis l'Évangile au moins, on sait que les enfants de la lumière ont le droit d'être aussi habiles que les enfants des ténèbres.  Depuis Machiavel, on sait qu'un prince gagne à connaître la nature humaine et à en bien exploiter les méandres.  Depuis Napoléon et les blindés de Gudérian, on sait que la victoire penche parfois du côté de l'intelligence plus que du côté de la puissance brute.  Ce qu'on semble avoir oublié, par contre, c'est que la stratégie n'a de sens que si elle est mise au service d'une idée et de légitimité que si elle ne contredit pas la nature du projet.  Tout miser sur la stratégie sans vérifier ses traits éthiques, c'est dire que la fin justifie les moyens et qu'il n'y a donc pas de mauvais moyens.  Tout miser sur la stratégie sans vérifier si la stratégie sacrifie le projet, c'est pourtant reproduire Hiroshima et Nagasaki.  C'est ne pas savoir qu'une stratégie atomique ne peut pas se concilier avec la défense de la dignité humaine et de la liberté.  À gagner une guerre par des moyens dégradants, on rend la victoire nauséabonde.

Pour le plus grand malheur de l'intention souverainiste, la stratégie gouvernementale vole aujourd'hui de ses propres ailes sans se demander si la victoire qu'elle cherche est toujours celle qui mérite l'adhésion.  On parle de réunir les conditions gagnantes sans voir qu'une victoire référendaire obtenue dans l'artifice ferait du Québec un pays tristement semblable à trop d'autres.  On parle de substituer une question gagnante à la question risquée mais honnête qui respecterait l'intelligence des gens.  On décrit la santé non plus comme le droit à la dignité, mais comme un obstacle sur la voie de l'indépendance.  Puis, le mois suivant, c'est l'éducation qui, Sommet de la jeunesse oblige, remplace la santé en tête des priorités.  Beaucoup de réalignements stratégiques et bien peu de précisions sur le pays qu'on veut faire.  De superbes plans de bataille, mais rien sur ce qu'on bâtirait sur la victoire.

Après les comptables, les stratèges.  Pauvre souveraineté.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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