Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 9 mars 2000
Une démocratie rongée par le secret

Chaque jour, les démocraties subissent la tentation du secret.  Elles, qu'on accuse de lenteur, perçoivent aisément le secret comme une façon d'accélérer les choses, comme un art pragmatique de couper court aux palabres marécageux, comme un mode de gestion plus adapté à notre temps et à ses urgences.  On comprend la tentation.  On comprend plus difficilement que tant de démocrates en tombent victimes, car la démocratie perd son sens dès qu'elle perd sa transparence.

Ce qui fait sursauter dans la stratégie de l'écureuil à laquelle vient de recourir le ministre québécois des Finances, M. Landry, ce n'est pas qu'il ait fait mauvais usage des 841 millions de dollars versés au Québec par le gouvernement central.  C'est qu'il ait décidé en catimini, comme si l'écureuil qui engrange des provisions ne pouvait justifier sa prudence sur la place publique.  Le premier ministre Lucien Bouchard n'améliore pas les choses quand il blâme les médias d'avoir fait tout un plat à propos d'une décision empreinte de prudence.  M. Bouchard montre ainsi qu'il ne voit pas lui non plus pourquoi la transparence s'impose dans un État démocratique.

Le premier ministre canadien, M. Chrétien, partage, au moins sur ce point, le triste credo des gouvernants québécois.  Après avoir créé une commission d'enquête sur le sang contaminé, il a tout mis en oeuvre pour empêcher la commission d'exhumer l'histoire complète et de nommer les responsables.  M. Chrétien récidive, dans le même culte du secret, lorsqu'il refuse de témoigner à propos de la manifestation qui avait accueilli à Vancouver le président indonésien.  Il noie ainsi dans le secret un élément essentiel : l'ordre donné aux policiers de montrer du muscle est-il venu de son cabinet?  Il faut, paraît-il, se fier aveuglément à ceux qu'on a élus.

Élargissons le questionnement à un autre terrain.  Comment justifier le secret qui entoure les décisions financières d'un bon nombre de groupes de pression, d'organisations non gouvernementales (ONG) et de centrales syndicales?  Si les dirigeants, là aussi, estiment avoir le droit de ne pas renseigner ceux et celles qui versent les cotisations et militent pour la cause, autant dire que bien des agents socio-économiques bafouent les règles démocratiques autant que le font les hommes politiques.  Recueillir l'argent à bras ouverts, mais en disposer sans consultation, c'est se faire de la démocratie une perception tronquée.  Mobiliser l'opinion publique au nom d'un idéal sans révéler qui, dans l'ombre, finance le discours, ce n'est pas non plus conforme à la démocratie.  Or, cela est fréquent et observable.

Seuls les spécialistes savent, par exemple, que le grand défenseur américain des consommateurs, Ralph Nader, reçoit un soutien financier important du consortium syndical américain AFL-CIO.  Il n'est pourtant pas certain que les intérêts des consommateurs et ceux des syndiqués soient en tous points identiques.  Moins de gens encore savent que l'AFL-CIO était (les choses changent vite!) le principal actionnaire (13 %) du conglomérat allemand des communications Mannesmann, qui n'a cessé d'étendre ses tentacules sur la France et l'Italie jusqu'à ce qu'il soit à son tour visé par une prise de contrôle hostile (OPA) lancée par un géant britannique.  À Seattle, certains intérêts agissaient donc des deux côtés de la barricade : en combattant à grands cris l'inhumanité des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) tout en profitant discrètement des mêmes règles.  Déduisons, avec un cynisme comparable à celui-là, qu'il ne faut pas pousser la transparence trop loin quand on tient à accuser les conglomérats de supprimer les emplois.

Il n'est pas nécessaire d'allonger la liste des mécanismes démocratiques portés aux cachotteries.  Il est indispensable, en revanche, de rappeler à tous ceux, politiciens ou intermédiaires de toutes natures, qui reçoivent des mandats démocratiques leur devoir de transparence.  Qu'on ne nous serve pas la classique distinction entre la démocratie directe et la démocratie représentative.  La distinction a ses mérites, mais aussi ses limites.  Ce n'est pas vrai qu'en élisant un parti politique, on lui donne carte blanche pour mettre la population devant le fait accompli.  Ce n'est pas vrai non plus que l'élection d'un exécutif syndical ou associatif l'autorise à se financer ou à investir selon une philosophie secrète et peut-être inavouable.

Quand on cache, c'est rarement parce qu'on respecte ceux dont on a reçu un mandat.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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