Dixit Laurent Laplante
Barre de navigation
Québec, le 2 mars 2000
Un budget qui ne répare rien

Entendre parler de surplus budgétaires quelques courtes années après avoir été menacés (vraiment?) d'une tutelle du FMI, cela pourrait constituer un motif de fierté et inciter à l'optimisme.  Le plus récent budget Martin, malgré l'ampleur de ses excédents, ne provoque pourtant pas l'extase.  Il confirme plutôt le durcissement du gouvernement central du Canada dans un néolibéralisme arrogant et myope.

Contemplons d'abord ces surplus avec un sain scepticisme.  Nous étions, paraît-il, si mal en point qu'il fallait, de toute urgence, consentir aux sacrifices les plus héroïques.  À ces sacrifices qui demandent aux chômeurs de se passer de soutien, aux employés du rail ou de la téléphonie de liquider les droits acquis en 30 ou 40 ans de travail, aux gens de 50 ans de se précipiter vers la retraite, aux entreprises paragouvernementales de se brader pour des considérations futures, aux réseaux de la santé et de l'éducation de sabrer jusque dans l'essentiel.  Il fallait tout cela parce que notre dette nationale constituait une témérité et parce que nous préparions à notre descendance une vie plus lugubre que celle du tiers monde.  Se souvenir de cette psychose n'exige pas de longues recherches historiques : elle sévissait il n'y a pas cinq ans.

Savamment orchestrée, entretenue comme à plaisir par des médias qui répercutent au ras du peuple les préoccupations de leurs richissimes propriétaires, la psychose a obtenu l'effet désiré : la possibilité financière et politique de remonter le cours du temps.  Une fois l'affolement parvenu au coeur des structures syndicales et communautaires et à l'intérieur des ménages, on pouvait obtenir de la société qu'elle cesse de revendiquer et même qu'elle renonce à tout pour sauver sa peau.  Décrivons cela comme une mise à plat des avancées sociales, comme une liquidation rétroactive des filets sociaux péniblement mis en place depuis quarante ans, comme une capitulation collective devant les exigences d'une mondialisation censément incontournable.  Cela eut lieu et cela laisse les syndicats ébranlés sur leur base, les foyers déférents jusqu'à la servilité, les esprits convaincus pour longtemps qu'il ne faut pas en demander trop et que mieux vaut même ne rien demander.  Le pays avait désormais toute latitude pour s'ancrer à droite, car il s'était libéré des engagements sociaux contractés au fil des ans.

Comme tout, dans cet étrange pays qui n'a rapatrié sa constitution que pour mieux la bafouer, finit par toucher les relations fédérales-provinciales, il fallait s'attendre à ce que la période de remise à plat permette au gouvernement central de se libérer aussi de ses responsabilités constitutionnelles.  Tout comme l'état de guerre est l'occasion pour le gouvernement central de s'approprier les ressources fiscales, l'état jugé dramatique des finances canadiennes incita Ottawa à modifier à son profit le pacte constitutionnel.  On pouvait repartir à zéro.

C'est dans ce contexte que le gouvernement central présente un budget qui prétend nous ramener les joies de la prospérité.  Le problème, c'est que ce budget ne restaure pas l'équilibre constitutionnel et laisse plus démunis que jamais ceux et celles que les composantes de l'ancien Canada s'efforçaient d'aider.  Le gouvernement central, qui peut dominer longtemps la vie politique du pays grâce à la fragmentation de l'opposition, traite les gouvernements provinciaux avec le mauvais bout de la fourche.  Ottawa consacre plus aux dépenses militaires qu'il ne remet d'argent dans les budgets provinciaux de la santé.  Le gouvernement central s'immisce grossièrement dans le monde de l'éducation comme si la constitution le lui permettait.

Le budget Martin, il est vrai, promet des allègements financiers à la classe moyenne.  Il faut s'en réjouir, même si le gouvernement encaisse la gloire tout de suite, mais ne réduira les impôts qu'au fil des ans.  Le budget Martin a toutefois ce tort impardonnable de ne s'occuper que de ceux qui lui versent des impôts.  Ce budget ne connaît que des contribuables.  Les citoyens, il ne les connaît pas.  Ceux et celles qui ont payé de leur emploi la magouille de l'assurance-chômage et qui ne versent rien parce qu'ils n'ont rien, ceux-là n'existent pas aux yeux du budget Martin.

C'est en cela que le budget Martin confirme l'enlisement de ce gouvernement dans son néolibéralisme sans âme.  Il gère mal les fonds qu'il devait consacrer aux ressources humaines, mais il ne s'en excuse même pas. Il détermine la fiscalité comme si la classe moyenne occupait massivement le centre de l'échiquier et fait semblant de ne pas savoir que la société est désormais cassée en deux et que le centre s'amenuise.

Faut-il, en plus, s'extasier?



Budget 2000 (Gouvernement du Canada)

Haut de la page
Barre de navigation


© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
Dixit À propos de... Abonnement Archives Écrire à Dixit