Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 21 février 2000
Sectes : parcours difficile

Comme bien des pays, la France ne sait que faire des sectes.  Elle ne veut pas contredire sa laïcité en se mêlant de questions religieuses, mais elle soupçonne elle aussi que certaines sectes utilisent la religion comme paravent ou alibi.  Elle a donc intensifié sa réflexion depuis quelques années pour mieux cerner le phénomène et préparer sa riposte.  Reste à vérifier si le récent rapport Vivien (Mission interministérielle de lutte contre les sectes) lui fournit les munitions recherchées.

Qu'est-ce qui distingue la secte indésirable du culte légitime?  À peu près toutes les analyses, et elles pullulent, ont achoppé sur la difficulté d'établir le clivage approprié.  Les sectes ont d'ailleurs veillé, au fur et à mesure que les pouvoirs publics de divers pays précisaient leurs interdits, à modifier leur profil.  S'il fallait une doctrine pour mériter l'appellation de religion acceptable, on rédigeait une doctrine.  S'il fallait, pour recruter des enfants, faire approuver un programme d'enseignement par un quelconque ministère de l'Éducation, on élaborait le texte requis.  Du coup, il devenait lassant sinon impossible de traquer une proie à la silhouette changeante.

La réflexion française, heureusement, a pu compter sur les travaux de divers groupes privés, comme ceux du Centre Roger-Ikor.  Ikor, romancier de renom, Goncourt 1955, s'est, en effet, consacré à l'examen des sectes depuis la disparition de son fils, mort victime d'une secte.  Avec rigueur, sans fanatisme, entouré de spécialistes, Ikor s'est efforcé, comme d'ailleurs d'autres groupes en France et ailleurs, de donner enfin de la secte une définition claire et utilisable.

Y est-on parvenu?  Oui et non.  Beaucoup d'analystes, qui ont renoncé à chercher une définition concluante, misent plutôt sur une batterie d'indices pour tracer les contours du phénomène.  Longtemps, le Centre Roger-Ikor a préféré cette voie.  Ces indices, une dizaine, vont de l'emprise du gourou à la gourmandise financière en passant par la manipulation mentale.  Quand le rapport parlementaire sur les sectes en France (Gest-Guyard) fut rendu public au début de 1996, il adoptait la même attitude et basait lui aussi son verdict sur la convergence de certains traits plutôt que sur une définition synthétique.  Ce rapport se montrait donc cohérent en proposant à l'État français la création d'un Observatoire interministériel sur les sectes.  Le gouvernement Juppé appliqua la recommandation.

L'Observatoire eut cependant une bien brève existence. Quand il présenta son premier (et unique) rapport au milieu de 1998 et prétendit qu'aucun amendement législatif n'était nécessaire, les élus le jugèrent pusillanime et décrétèrent son abolition.  Ils obéissaient en cela à la demande de familles inquiètes de l'embrigadement de leurs enfants et désireuses d'obtenir enfin au sujet des sectes une description nette et plus aisément utilisable devant les tribunaux.  Fin 1998, le gouvernement Jospin durcissait le ton et mettait sur pied une Mission au mandat plutôt belliqueux : Mission interministérielle de lutte contre les sectes.  Cette fois, on allait bien voir!

De fait, la dite Mission ose une définition de la secte : « une association de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux, dont le comportement porte atteinte aux droits de l'homme et à l'équilibre social ».  La définition présente un double avantage.  D'abord, celui de coller à des textes fondamentaux comme la Déclaration des droits.  Ensuite, celui de juger la secte à ses retombées et non selon ses intentions déclarées.  Que ses motifs soient purs ou non, la secte peut être poursuivie si elle tente d'infiltrer les lieux de pouvoir, si elle exige des financements sans commune mesure avec les services rendus, etc.  Les divers indices identifiés au fil des ans sont ainsi mis en perspective.

La Mission va cependant plus loin.  Elle recommande que l'État se donne les moyens de dissoudre carrément certaines sectes qu'elle juge particulièrement menaçantes.  Et, pour faire bonne mesure, elle en nomme déjà deux : l'Ordre du Temple solaire et l'Église de scientologie.  Pourquoi ces deux cibles?  Parce que, dans la typologie des sectes dont la Mission a accouché, elles appartiennent à la plus menaçante des trois catégories, celle des sectes dites absolues.  Il s'agit de celles qui « rejettent les normes de la démocratie et propagent une anticulture fondée sur le primat d'une élite formée dans le dessein de dominer le reste de l'humanité ».

Il s'en trouvera évidemment, tant les questions à connotation religieuse exacerbent les émotions, pour crier ou bien à la censure ou bien à la pusillanimité.  La Mission a tout de même de grands et nombreux mérites.  Elle a accompli rapidement une tâche urgente.  Elle a intégré les analyses menées au fil des ans par les groupes les plus divers. Elle évite les pièges du procès d'intention et de l'inquisition religieuse et fonde toute sa stratégie sur les textes fondateurs de la laïcité et des Nations-Unies.  Peut-être même a-t-elle ainsi fourni une excellente hypothèse de solution à tous les pays qui font face au même problème et qui ont en commun avec la France le respect des grands textes universels.  Ce n'est quand même pas négligeable.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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