Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 17 février 2000
De persistantes impunités

Deux siècles après les révolutions française et américaine, les grandes promesses de l'idéal républicain tardent toujours à se matérialiser.  La liberté demeure, pour bien des humains, un bien précaire et fragile.  L'égalité est honteusement niée par d'insoutenables impunités.  La fraternité, encore plus mal en point que ses deux compagnes, recule d'un pas chaque fois que progresse la domination de l'argent.

Parlons, cette fois, des impunités qui dispensent certains pays et certains individus du respect des lois communes.

L'inégalité qui persiste entre les pays est si voyante et si scandaleuse qu'elle entretient le cynisme plutôt que l'espoir.  Que la Russie puisse mener tambour battant et à grands coups de morts civiles sa guerre contre les Tchétchènes, voilà qui répugne.  Que le gouvernement israélien, par delà ses changements électoraux, puisse défier les Nations-Unies pendant plus de vingt ans et déchirer page par page chacun des accords conclus sous l'oeil sec du partenaire américain, voilà qui scandalise.  Que l'Indonésie, sitôt les réflecteurs de l'actualité tournés vers d'autres horreurs, puisse reprendre en toute sérénité ses exactions à l'égard de ses populations autochtones, voilà qui choque.  De toute évidence, des impunités persistent même si elles sont inacceptables en régime démocratique et parfaitement contraires à l'idéal républicain de l'égalité.  La force prime le droit.

Il en va également des hommes : certains, en effet, échappent longuement aux conséquences de leurs gestes.  L'ancien dictateur Pinochet n'est toujours pas jugé.  Il semble même que la justice anglaise, parfois trop habituée à garder en mémoire les intérêts de l'Empire, ait accordé à l'ancien dictateur des avantages judiciaires réfusés aux justiciables moins galonnés.  Malgré une opinion publique massivement dressée contre son impunité, Pinochet en profitera peut-être jusqu'à sa mort.  Ses victimes et leurs familles n'auront même pas eu la légitime satisfaction d'être entendues.

Cette scandaleuse impunité est même en train d'étendre ses effets pervers.  Pas plus repentant que son collègue Pinochet, encore moins démuni que lui, l'ancien président Suharto de l'Indonésie invoque à son tour son grand âge et sa piètre santé pour faire faux bond à la justice.  Il semble même que ce vieillissement subit affecte aussi la mémoire de l'ancien leader indonésien : il prétend tout ignorer des milliards volés à son peuple et versés à on ne sait combien de comptes numérotés.  Si l'ancien chef du clan Suharto s'en tire avec ces pirouettes, il rejoindra, dans le cercle des dirigeants rejetés mais impunis, les Marcos, Duvalier, Eltsine et consorts.

Tout cela est bien loin?  Rien de tel ne se produit près de nous ou à notre échelle?  C'est à voir.  Certes, le Canada et le Québec manquent de tortionnaires de carrière et de génocidaires sérieux, mais les impunités s'y constatent quand même quotidiennement.

Quand, par exemple, les prix du pétrole se gonflent douloureusement, des camionneurs ont tôt fait de se proclamer les premières victimes du phénomène et de se faire justice.  On bloque les routes, on intimide les concurrents, on rançonne les entreprises et on arrache la compensation souhaitée.  Les autres, depuis les chauffeurs de taxis jusqu'aux exploitations agricoles, n'auront pas droit au même soutien même si la hausse les touche eux aussi.  L'intimidation plus que la loi ou le droit, l'impunité plus que l'égalité.

Le gouvernement canadien donne, par les temps qui courent, le même déprimant spectacle du cynisme et de l'impunité.  À l'encontre de toutes les règles démocratiques, le gouvernement refuse d'expliquer de façon crédible le fouillis qui a emporté son ministère du Développement et des Ressources humaines.  La ministre qui dirige (?) aujourd'hui ce ministère esquive les questions.  Celui qui l'a précédée à ce poste refuse de parler d'un fouillis qu ne le concerne plus.  Le premier ministre en arrive, sophismes et cynisme à l'appui, à miniaturiser un désordre d'un milliard en un détail de 250 dollars.  Qui dit mieux en fait d'impunité?

Cette arrogance est le fait de tous les gouvernements?  Je ne le crois pas.  Il est le fait des pouvoirs qui n'ont plus de contrepoids.  Un dictateur se croit éternel et en profite.  Un Nixon, derrière son blindage présidentiel, ne se donne même pas la peine de détruire des enregistrements compromettants.  Le gouvernement libéral de M. Chrétien sait, au Canada, qu'aucun parti ne peut le renverser : tous les partis d'opposition sont ou décapités, comme le parti conservateur, ou de rayonnement strictement régional, comme le Bloc québécois ou le Reform Party.  Dans les circonstances, on peut tout se permettre.

Le vieil adage se confirme dans tous les contextes : le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument.  Jusqu'à l'impunité inclusivement.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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