Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 31 janvier 2000
Plus de loi que de volonté?

Les femmes, enfin, déclare fièrement l'éditorial du journal Le Monde*.  Le motif de ce bombement de torse, c'est l'adoption en première lecture à l'Assemblée nationale de France d'un projet de loi destiné à favoriser l'accès des femmes à la vie politique.  L'objectif est ambitieux, car, résume Le Monde, la réforme oblige les partis à inscrire 50 % de candidates aux élections qui ont lieu aux scrutins de liste.  D'autant plus ambitieux que les nouvelles exigences entrent en vigueur dès 2001.  Si ambitieux, à dire vrai, que l'on peut dès maintenant prévoir des ratés, peut-être même des ratés quelque peu planifiés.

Les lois, y compris les plus vertueuses, sont capables d'effets pervers.  Elles sont même, chez les stratèges cyniques, l'une des plus rentables formes de tromperie.  L'adoption d'une loi, en effet, saisit l'opinion publique, l'oblige à prendre acte du virage, la force presque à croire à l'avènement d'un temps nouveau.  Adopter une loi, c'est affirmer qu'un problème a reçu sa solution et qu'on peut passer à autre chose.

Dans les faits, une loi marque souvent non pas la fin d'une injustice, mais une autre phase de la lutte.  Voter une loi qui proclame l'équité salariale, le Canada est particulièrement bien (ou mal) placé pour le savoir, ce n'est pas verser bientôt aux femmes ce qui leur a été injustement refusé depuis des décennies.  De même, adopter la Déclaration universelle des droits, comme des dizaines de pays l'ont fait, ne signifie pas que l'analphabétisme et l'exploitation des enfants ont disparu.  On signe le texte, on consent même à le ratifier, puis on ajoute, au détour d'un paragraphe, que rien dans ce texte ne doit limiter la souveraineté nationale.  Le tour est joué !

L'astuce est payante.  L'adoption d'une loi, précisément parce qu'elle rassure l'opinion et fait croire à l'éradication de l'injustice, a comme résultat pervers d'enlever leur mordant aux critiques.  On réussissait à ameuter l'opinion avant l'adoption de la loi, car l'injustice scandalisait; on ne réussit plus à émouvoir après l'adoption de la loi, car l'urgence ne se justifie plus.  Pour ces motifs, il est toujours prudent, surtout quand une loi place la barre très haut, de vérifier si la loi amorce vraiment une réforme ou si, au contraire, elle noie sous les fleurs un scandale inentamé.

Le projet de loi français a tout ce qu'il faut pour tromper, peut-être même tout pour nuire aux légitimes aspirations des femmes à la vie politique.  Il ne s'astreint, en effet, à aucune prudence pédagogique.  Il ne fixe pas un seuil de 25 ou 30 % à atteindre lors des prochains scrutins; il fait semblant de croire que la perfection est à portée de main dès les prochaines consultations électorales.  Le projet, d'autre part, laisse tellement d'échappatoires aux partis politiques qu'on ne peut pas croire à la parfaite candeur des rédacteurs.  Les femmes qui ont tâté de la politique au Canada et au Québec savent, à cet égard, qu'on les a longtemps utilisées comme cautions aveugles et non comme des partenaires.  On les invitait à poser leur candidature, mais on les faisait parader dans des comtés perdus d'avance.  Elles n'ont gagné du terrain qu'au moment où, de façon pragmatique, elles ont eu un accès plus égal aux circonscriptions plus favorables.  Le projet de loi français, comme si ces vérités n'étaient pas connues, exige une moitié de candidatures féminines sur les listes, mais il laisse aux partis la possibilité de ne confier aux femmes que des missions impossibles.  D'ici aux prochaines déconvenues, la revendication féminine est muselée par une loi qui prétend avoir réglé le problème, mais qui n'a peut-être fait que lui retirer sa force de frappe.

Poussons un cran plus loin.  Même si les techniques d'action positive, comme les dénomment nos confrères américains, ont corrigé certaines situations, elles ne l'ont fait, dans bien des cas, qu'en instillant le doute à l'intérieur même des candidatures présentées par les femmes, les Noirs, les personnes handicapées.  Être embauchée parce que compétente, ce n'est pas la même chose qu'être embauchée parce que femme.  En ce sens, il ne suffit pas de solliciter la contribution des femmes françaises à la politique de leur pays; encore faut-il le faire d'une manière qui ne doive rien au paternalisme et qui ne laisse planer aucune ambiguïté quant à la qualité des candidatures féminines.  Le projet de loi ne satisfait pas à ces exigences.

Comment, dès lors, expliquer la quasi unanimité obtenue par le projet?  On a le choix de la spéculation.  La France, grande donneuse de leçons, est l'avant-dernier pays européen en ce qui concerne les femmes élues.  Gênant.  Après quelques progrès, la situation s'est figée et on ne note plus de progrès depuis plusieurs années.  Gênant.  S'ajoutent aussi, bien sûr, les louables motivations que sont le souci d'équité, le désir de faire intervenir les qualités féminines dans des dossiers et des ministères où un surcroît d'empathie est requis.  Cela explique le projet, sans pour autant le rendre parfaitement crédible.

La France a adopté des lois sur le tabagisme dans les lieux publics et sur la responsabilité hygiénique des propriétaires de chiens. Qu'on me dise si la loi a éliminé les deux pollutions.



*Le Monde, jeudi 27 janvier 2000

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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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