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Décision 1997

Analyse des sondages

Une hirondelle ne fait pas le printemps

PIERRE-ALAIN COTNOIR
Le 3 mai 1997

Un sondage réalisé par CROP, du 17 au 22 avril dernier, a causé cette semaine tout un émoi dans les chaumières.  Monté en épingle par la Société Radio-Canada, puis repris par le milieu journalistique, on lui a attribué une portée à laquelle il ne peut seul prétendre.

De tous les sondages menés juste avant le déclenchement de la campagne électorale, il demeurait le seul à mettre en avance le parti libéral sur le Bloc québécois.  Ainsi, par exemple, un autre sondage, réalisé par Angus Reid au cours de la même période (du 16 au 22 avril), accordait, quant à lui, 49 % des appuis électoraux au BQ.  Tout un contraste!

Alors pourquoi tout ce battage médiatique autour du sondage CROP plus particulièrement?  Pour créer un débat dans une campagne qui s'annoncerait, somme toute, jouée d'avance?  Pour faire parler, suer ou jouir les candidats? C'est susciter bien de l'agitation pour un seul coup de sonde.  L'électorat n'est pas à ce point volatil...  Il y a plus de permanence dans les choix des électeurs.  Bien sûr, une accumulation d'événements finit bien par infléchir les tendances de l'opinion publique, mais, de manière générale, les intentions électorales suivent des lignes de clivage de l'opinion publique qui résistent bien aux seules secousses d'une campagne électorale.

Il y a, bien sûr, la question nationale qui détermine les camps des uns et des autres.  Mais, il y a plus : l'appartenance ethnique divise les électeurs depuis au moins un siècle.  Depuis la pendaison de Riel en 1885 et la crise causée par la conscription de 1917, les conservateurs ont évolué au ras des pâquerettes (sauf à quelques rares occasions historiques).  Ils étaient vus par les Canadiens-français de l'époque comme des mange-Canayens.  Ce rejet massif du parti conservateur par l'électorat francophone (voir le texte de Pierre Drouilly sur Le Québec et les élections fédérales) a eu des conséquences bien particulières.

En effet, comparé à l'Australie, à la Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni, le Canada demeure le seul dominion où le parti libéral n'a pas été supplanté par une formation soeur au Labour anglais.  Pourquoi?  Parce que toutes les fois où les Canadiens-anglais du pays ont rejeté ce parti, il s est maintenu dans toutes les circonscriptions où les Canadiens-français étaient majoritaires, de Saint-Boniface au Nord-Est ontarien en passant par l'Acadie et le Québec.  Les libéraux fédéraux réussirent à occuper la première place de l'échiquier canadien, tant et aussi longtemps qu'ils parvinrent à maintenir un double discours, marqué par une stratégie d'alternance entre chefs d'origine linguistique différente, leur garantissant ainsi l'adhésion indéfectible de l'électorat canadien-français.

Mais, en 1982, le rapatriement unilatéral de la Constitution imposé au Québec a brisé ce mythe.  Retournement spectaculaire car depuis, le Parti libéral du Canada semble devenu, dans l'opinion publique francophone du Québec, le parti mange-canayen de cette fin de siècle.  En effet, la principale donne qui ressort de tous les sondages menés depuis 1993, c'est l'impopularité manifeste du parti libéral auprès de l'électorat francophone québécois, parvenant à peine à rallier le quart des électeurs.  Tant et aussi longtemps que cette situation prévaudra, le Bloc québécois pourra espérer envoyer à Ottawa un fort contingent de députés.

Car ce sont les mêmes vieux réflexes ethniques qui dictent encore la conduite de la majorité des électeurs québécois, à la différence près que seul le nom des acteurs a changé depuis.  Voilà pourquoi il faut se méfier des pronostics intempestifs, des déroutes anticipées et autres soubresauts du genre.  L'évolution de l'opinion publique est déterminée avant tout par des courants de fond.  Or, comme le dit le proverbe, le seul passage d'une hirondelle ne fait pas nécessairement le printemps.

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Courrier
Mise en ligne : Le 3 mai 1997.
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