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Décision 1997

La campagne vue du Web

Le cyberespace : une société distincte?
JEAN-PIERRE CLOUTIER
Le 4 mai 1997

Déjà une semaine d'écoulée depuis le lancement de la campagne, et on se rend bien compte que notre société roule à deux vitesses.  Celle des branchés qui connaissent et exploitent les cybermédias, et celle des non branchés qui tentent tant bien que mal de s'y adapter.

Ce qui frappe, dans ce cas comme dans d'autres, c'est que le cyberespace et ceux qui y évoluent semblent constituer une véritable société distincte, en marge de l'autre, une société qui n'est pas (encore) régie par les mêmes règles que la majorité.

Par exemple, en vertu de la Loi électorale du Canada, les partis ne peuvent faire de la publicité qu'à partir du 29e jour qui précède le scrutin, soit le 4 mai, car l'élection se tiendra le 2 juin.  Mais la loi ne fait état que de la publicité dans les journaux et les médias imprimés et ignore totalement l'Internet.  Non pas qu'il y ait eu ruée aux guichets chez les sites Web à fort achalandage pour retenir de l'espace pour la publicité électorale.  Mais les webdiffuseurs auraient-ils pu, en toute quiétude et dans le respect de la loi, accepter de le faire, et ce bien avant le déclenchement de la campagne?

La loi interdit aussi aux médias traditionnels de diffuser de la publicité la veille et le jour même de l'élection.  Par contre, aucune mention des cybermédias dans les textes de loi, et on se demande si cela signifierait qu'un parti pourrait continuer de diffuser de la publicité sur le Web après la date limite prescrite par le législateur pour les médias traditionnels.

Et, comme à chaque fois qu'on parle de société distincte, une foule de questions surgissent, et l'accession du cyberespace à ce statut ne diffère pas.

Par exemple, exception faite pour 31 circonscriptions des Maritimes, l'interdiction de diffuser des résultats avant la fermeture de tous les autres bureaux de scrutin du pays s'applique-t-elle à un site Internet sur un serveur situé à l'extérieur du pays?  Lors d'une récente rencontre avec des membres de la presse, le directeur général des élections disait que la communication de résultats par courrier électronique de personne à personne était permise, car elle s'apparente sur le plan juridique à une conversation téléphonique.  Par contre, la diffusion de résultats par un radiodiffuseur canadien sur son site Web (et non sur ondes hertziennes), avant que tous les bureaux de vote du pays ne soient fermés, pourrait constituer un motif de plainte sur laquelle le Commissaire aux élections devrait enquêter.

Dans le cas de résultats de sondages, il est interdit de diffuser (au sens large, ce qui inclut par voie de conséquence l'Internet) de nouveaux résultats 72 heures avant la tenue du scrutin.  Mais la loi s'applique au Canada et ne peut tenir compte de l'extra-territorialité caractéristique à l'Internet.  Scénario : un sondage éclair est tenu la veille du jour de l'élection et les résultats font immédiatement l'objet d'une «fuite» à un cybermédia hors frontière.  Cherchez l'erreur.

Toujours en vertu de la loi, il est permis à des tiers, particuliers ou groupes qui ne sont ni candidats, ni partis politiques dûment inscrits, de diffuser de l'information partisane, sans que les frais ne soient comptabilisés dans les dépenses officielles des partis. C'est le concept américain des «political action committees».

Ceci signifie que les partis ne sont pas tenus de rapporter les dépenses encourues par les tiers pour la diffusion de telles informations ou publicités.  Cette règle s'applique tant aux médias traditionnels qu'à l'Internet.  Mais compte tenu des coûts peu élevés de la diffusion d'information sur les réseaux, et de la rapidité avec laquelle on peut procéder (les gens de Décision 1997 en savent quelque chose), risque-t-on de voir un foisonnement de sites exploités par des tiers à des fins partisanes?

On le voit bien, le législateur n'a pas tenu compte des inforoutes lorsqu'il a modifié la loi électorale il y a quelques mois.  Il y a donc sur le plan juridique deux poids deux mesures, ce qui fait du cyberespace, et de ceux et celles qui s'en réclament, une société bien distincte, un espace partagé par des hommes et des femmes qui seront peu enclins, pour des raisons de culture, à se plier aux règles dictées par et pour la majorité.

Cet espace est occupé par des gens qui ont une culture propre, un langage commun, des traditions (bien que jeunes), une éthique partagée, et une gamme de produits culturels et informationnels qui façonnent leurs perceptions et leurs pensées, et qui sont rendus possibles par les technologies qu'ils exploitent.  Et c'est ça, la cyberculture des netizens, des citoyens du réseau, la société distincte du cyberespace.

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Courrier
Mise en ligne : Le 4 mai 1997.
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