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Les Chroniques de Cybérie
28 mars 2000

© Les Éditions Cybérie inc.

28 mars 2000

Salutations à tous les Cybériens et Cybériennes!

Cette Chronique n'est optimisée ni pour Netscape, ni pour Internet Explorer, elle l'est pour ses lecteurs et lectrices.

Cette semaine...

Procès Microsoft : on arrive (presque) à terme
Vidéotron : la dulcinée a un nouveau prétendant
Sites miroirs et logiciels filtres
Émoi à Clynderwen
France : identification volontaire des pages personnelles
Un milliard en 2005?
Sites haineux
Beau détour

 Procès Microsoft : on arrive (presque) à terme
La semaine écoulée a été fertile en rumeurs, fuites d'informations, déclarations de «sources proches» et analyses d'observateurs aguerris.  Mardi dernier, 21 mars, le juge Thomas Penfield Jackson a signifié aux deux parties, soit Microsoft et le ministère américain de la Justice - DoJ - ainsi que les représentants des 19 États qui poursuivent Microsoft, qu'à défaut d'une proposition de règlement négocié, il trancherait sous peu.  On a d'abord cru que ce serait ce mardi, 28 mars, mais des dépêches de dernière heure laissent croire qu'il pourrait attendre encore un peu.

Mercredi dernier, Joel Klein, chef de la division anti-trust du DoJ, déclarait devant le sous-comité du Sénat sur les questions anti-trust qu'un règlement négocié serait souhaitable, mais qu'il devrait correspondre aux conclusions de fait et de droit exprimées par le juge Jackson.  Ce dernier estime que Microsoft détient un monopole et a agi en contravention des articles 1 et 2 de la Loi anti-trust pour maintenir sa position de monopole.

Jeudi, le Washington Post rapportait que la médiation entreprise le 30 novembre dernier par le juge Richard Posner (à la demande du juge Jackson) se poursuivait activement, sans toutefois que les deux parties n'aient de contacts directs entre elles ou ne commentent officiellement sur les négociations.

On apprenait aussi que les représentants des 19 États qui poursuivent conjointement Microsoft ne s'entendaient guère sur les solutions à apporter.  Par exemple, les attorney generals du Connecticut et de l'Iowa pencheraient pour une balkanisation de l'empire Microsoft alors que ceux de l'Ohio, du Kansas, du Maryland et de la Floride s'inquiéteraient des retombées pour l'économie américaine d'un fractionnement du géant du logiciel.

Vendredi, en fin de journée, manoeuvre sur le front diplomatique.  Microsoft faisait parvenir par télécopieur au DoJ et aux attorney generals des 19 États un long document présentant une offre de règlement.  D'après le New York Times (inscription requise, sans frais), le document comportait une telle somme de détails techniques que les avocats du DoJ ont mis des heures à le déchiffrer.  Sans commenter plus à fond sur le contenu, un responsable du DoJ souhaitant conserver l'anonymat a cependant affirmé que les propositions de Microsoft étaient insuffisantes.  Microsoft n'a pas commenté le contenu de sa proposition.

À moins d'un aboutissement rapide des négociations, le juge Thomas Penfield Jackson se prononcera donc sous peu en faveur des arguments présentés par le DoJ et les 19 États plaignants.

Mais tout n'est pas terminé, car le juge Jackson établira également les règles et le calendrier des audiences à venir au cours desquelles les plaignants exposeront les solutions ou les pénalités qu'ils entendent imposer.  Cependant, ils devront cependant d'ici là s'entendre sur les mesures à imposer, ce qui est loin d'être chose faite comme nous le mentionnions plus haut.

Entre temps, un sondage effectué par la société Zogby International pour le compte de l'organisme Americans for Technology Leadership révèle que 66,5 % des contribuables américains croient que la poursuite intentée contre Microsoft est une mauvaise utilisation des deniers publics.  De plus, 74,8 % croient que les dépenses engagées dans un éventuel processus d'appel seront aussi un gaspillage de fonds publics, et 82,3 % espèrent un règlement hors cour, le fractionnement de Microsoft ne recueillant la faveur que de 17 % des répondants.  C'est que seulement 16,2 % des répondants estiment que les agissements de Microsoft ont nui aux consommateurs.  Le sondage a été mené du 13 au 17 mars avec un échantillon de 1 004 répondants et comporte une marge d'erreur de 3,2 %.

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 Vidéotron : la dulcinée a un nouveau prétendant
Le 8 février dernier nous vous parlions de l'achat de la société Vidéotron par Rogers Communications, une annonce qui avait pris le milieu des communications un peu par surprise.  On tenait plus ou moins pour acquise cette transaction, malgré certains signes de mécontentement exprimés le 15 février par la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ), actionnaire important de Vidéotron.  «Contrairement à la croyance populaire, cette transaction-là n'est pas terminée» avait déclaré Jean-Claude Scraire, président de la Caisse.

La Caisse est le véhicule d'investissement des fonds de pension québécois.  Elle dispose d'un actif sous gestion de 105 milliards de dollars.  Elle détient dans Vidéotron 10 % du capital actions et 19 % des actions votantes.  La famille Chagnon, en propre ou par l'entremise de deux sociétés de portefeuille, détient 72 % des actions votantes.

Vendredi dernier, à deux jours de la réunion au cours de laquelle les actionnaires de Vidéotron devaient donner leur aval à la transaction, coup de théâtre sous forme d'une contre-proposition venant de Quebecor et de Capital Communications (filiale de la Caisse de dépôt et de placement).

La proposition de Rogers reposait sur un échange d'actions, soit 0,925 action non votante de Rogers pour chaque action de Vidéotron, pour une valeur totale d'un peu moins de 5 milliards de dollars.  La contre-proposition de Quebecor et de la CDPQ comporte un paiement en argent et un échange d'actions (pour des actions votantes) dans une nouvelle société à former, Quebecor Medias (dont la composition exacte des actifs n'est pas encore connue).  La valeur de la transaction s'élève à 5,9 milliards, mais comprend l'achat de la participation de 35 % de Vidéotron dans le réseau de télévision TVA qui était exclue de la transaction proposée par Rogers (voir les détails dans le quotidien Le Devoir). 

Vendredi, en fin d'après-midi, la CDPQ a obtenu une injonction temporaire empêchant la famille Chagnon de déposer, à l'occasion de la réunion prévue pour lundi, ses actions dans le cadre de l'offre de Rogers.  Lundi, les actionnaires de Vidéotron n'ont eu d'autre choix que de reporter le vote sur l'offre de prise de contrôle de Rogers.  Capital Communications et la CDPQ rappellent qu'elles n'ont pas accordé leur consentement préalable au projet de fusion Vidéotron/Rogers, droit accordé en vertu de la convention d'actionnaires signée en mai 1995 avec monsieur André Chagnon, Sojecci Ltée et Sojecci (1995) Ltée, sociétés de portefeuille de la famille Chagnon, et qu'en conséquence de cette entente avec Quebecor, elles entendent maintenir leur refus. 

Le conflit a aussi une dimension de différend entre deux familles de la haute finance québécoise, soit la famille Chagnon qui détient la majorité des actions de Vidéotron, et la famille Péladeau qui mène la barque de Quebecor.  À cet égard, l'éditorialiste du quotidien Le Devoir écrit : «Vidéotron n'est pas qu'un vulgaire bout de tuyau dont on n'a cure de savoir qui en détient le contrôle.  Il s'agit d' une entreprise dont les revenus assurés et la technologie de pointe sont au centre des développements en cours dans le secteur des communications.  Si les Chagnon ne se croient pas capables de poursuivre la bataille, on ne peut que se réjouir de ce que les héritiers d'une autre famille plus batailleuse prennent la relève.»

On suivra avec intérêt l'évolution de ce dossier, mais on ne peut que sourire en prenant connaissance de certaines réactions à l'annonce de la contre-proposition Quebecor/CDPQ.

Claude Chagnon, président de Vidéotron, maintient son appui à la proposition de Rogers et estime, rapportait Le Devoir, que la proposition de la Caisse et de Quebecor est une entreprise «lourdement endettée».  En revanche, George Karidis, directeur de la recherche pour le groupe de consultants en télécommunications The Yankee Group, déclarait au netmag Canoë (propriété de Quebecor) que «S'il veut battre Quebecor, Rogers devra emprunter pour ajouter plus d'argent à son offre, mais ses moyens financiers apparaissent limités, selon M.  Karidis, qui rappelle que le câblodistributeur a fait face à des problème financiers il y a quelques années à cause de son lourd endettement.»

Le Globe & Mail citait Mary Anne DeMonte-Whelan, vice-présidente et analyste principale en télécommunications à la firme de courtage torontoise BLC Securities : «C'est une contre-proposition qui a des motifs politiques.  Quebecor et la Caisse veulent maintenir une forte présence québécoise dans la nouvelle économie.» Incidemment, vendredi dernier, le grand patron de la Caisse de dépôt et de placement, Jean-Claude Scraire, rendait visite à l'équipe éditoriale du Financial Post et déclarait que la Caisse ne sacrifierait pas ses objectifs financiers à des impératifs politiques ou culturels.  «C'est impossible.  Il y a tout simplement trop d'argent en jeu.»

Enfin, toujours dans le Financial Post, le porte-parole de Rogers, Richard Harvey, estime que l'offre de Quebecor et de la Caisse est difficile à évaluer car elle comporte des titres de la nouvelle économie qui sont généralement surévalués.  Comment, alors, Rogers a-t-elle déterminé le prix d'achat de Vidéotron qui détient un actif important...  dans la nouvelle économie?

Pour sa part, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) estime que l'achat de Vidéotron par Quebecor créerait un niveau trop élevé de concentration de la presse.  La transaction «concentrerait sous un seul chapeau les deux principaux réseaux privés de télévision francophone du Québec, TQS et TVA, les publications de Quebecor, notamment le Journal de Montréal et le Journal de Québec, les portails InfiniT et Canoe, Netgraphe, la Toile du Québec, l'essentiel du câble ainsi que d'autres actifs [...] Nous en sommes à un point tournant où les règles qui régissent la propriété des médias doivent être clarifiées et déterminées après un débat en profondeur où on devra identifier ce qui sert le mieux l'intérêt public» affirme la Fédération.

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 Sites miroirs et logiciels filtres
Deux cas récents illustrent bien l'impossibilité de bloquer la diffusion d'informations une fois que cette dernière a franchi le seuil du Web.

En Espagne, le 8 mars dernier, perquisition policière aux bureaux de l'organisme nodo50 qui héberge le répertoire Web de la Asociación contra la Tortura (Association contre la torture - ACT).  Sans disposer de mandats ou autres documents pouvant justifier une telle action, les inspecteurs de l'Agence gouvernementale de protection des données saisissent le matériel du répertoire de l'ACT et cherchent même à obtenir des renseignements sur ses membres auprès du personnel de nodo50.  Il y aurait eu plainte déposée contre l'ACT concernant les nombreuses informations mises en ligne par celle-ci et dénonçant les violences commises par les forces de polices nationale, municipales et autonomes, et par la Guardia civile (gendarmerie).  Le 16 mars, l'Agence de protection des données annonce même à la presse traditionnelle la fermeture du site Web de l'ACT alors même que les intéressés (ACT et Nodo50) ne sont pas encore informés.  Rapidement, un mouvement de solidarité s'organise et des sites miroirs du répertoire de l'ACT foisonnent, dont celui de la zone d'autonomie temporaire Samizdat.  Dès lors, toute tentative de bâillonnement de l'ACT est déjouée.

L'autre cas concerne le dossier des logiciels filtres, et de ceux qui contestent pour de nombreuses raisons leur pseudo efficacité.  Cette fois, c'est le logiciel filtre CyberPatrol, fabriqué par la société Microsystems Software (filiale du fabricant de jouet Mattel), qui est au centre de la controverse.  Deux jeunes hommes, un Canadien et un Suédois, ont décortiqué le fonctionnement du logiciel pour déterminer les contenus qu'il filtrait.  En voici quelques exemples : l'ensemble des sites Web d'organisations étudiantes de l'université Carnegie Mellon (y compris ceux du club de courtepointe, des passionnés de frisbee, de l'équipe de volleyball, etc.); le site de l'association étudiante du Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour la liberté d'expression, le site Nizkor à la mémoire des victimes de l'Holocauste, les forums d'échange alt.journalism:, alt.journalism.newspapers, alt.journalism.freelance, alt.feminism, etc.

Les deux jeunes ont mis au point, et diffusé sur leurs sites Web respectifs, un petit utilitaire servant entre autres à contourner le filtrage de CyberPatrol et à afficher la liste des contenus filtrés.  Le logiciel est disponible en deux saveurs, soit CP4break.zip et cphack.exe.  Microsystems Software a obtenu une injonction temporaire d'un tribunal américain les enjoignant à retirer de leurs sites Web l'utilitaire et a intenté des poursuites, invoquant l'infraction au droit d'auteur.  Mais déjà, des dizaines de sites Web miroirs diffusaient l'utilitaire.  Bon nombre de ces rediffuseurs ont reçu des mises en demeure du tribunal américain les menaçant de poursuites s'ils ne retiraient pas le logiciel, même si le tribunal n'avait aucune juridiction sur ces sites situés hors des États-Unis.

Le chroniqueur Declan McCullagh, rédacteur du bulletin Politechbot, avait mentionné la liste des sites miroirs sans pour autant offrir le téléchargement direct de l'utilitaire en question.  Il a néanmoins, lui aussi, reçu un message des procureurs de Mattel exigeant qu'il livre la liste des personnes ayant téléchargé, vu ou pris connaissance de l'utilitaire.

L'American Civil Liberties Union (ACLU) se porte à la défense des intimés, conteste l'ordonnance du tribunal obtenue par Microsystems Software, et déclare assurer la défense de trois personnes ayant offert le téléchargement de l'utilitaire afin d'établir des cas types.  Selon Chris Hansen, principal conseiller juridique de l'ACLU, «Si on suit la logique de CyberPatrol, je serais coupable d'un acte criminel si je regardais sous le capot d'une voiture avant de l'acheter.  Je ne crois pas que ce soit trop demander de CyberPatrol et des autres fabricants de logiciels filtres de dire exactement au public ce que leurs logiciels filtrent, surtout si le Congrès entend exiger leur utilisation.»

Lundi, revirement inattendu.  Quelques minutes avant l'audition devant prolonger l'injonction temporaire, Microsystems Software annonce qu'elle a acquis, sans frais des deux jeunes hommes, les droits d'auteurs sur l'utilitaire, et qu'elle entend désormais poursuivre les sites miroirs pour diffusion d'un logiciel qui lui appartient.  L'ACLU déclare qu'au vu de ce fait nouveau, elle demandera aux responsables des trois sites miroirs de retirer l'utilitaire de leurs sites puisqu'il s'agit maintenant d'un logiciel «commercial». 

Ce qu'on retiendra surtout de cette affaire sera la prise de position de l'influent Boston Globe sur la question des logiciels filtres.  Lundi, en page éditoriale, on pouvait lire dans le Globe «Les particuliers ont le droit d'installer CyberPatrol sur leur ordinateur.  Mais le public a le droit de critiquer la sélection de sites qui sont filtrés...»

C'est, à notre connaissance, la première fois qu'un influent média prend officiellement position contre les logiciels filtres.

Entre temps, CP4break.zip et cphack.exe sont toujours disponibles sur bon nombre de sites miroirs, bien que Microsystems Software ait mis au point une rustine téléchargeable pour le déjouer.  Prochain épisode bientôt.

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 Émoi à Clynderwen
C'est dans le petit village de Clynderwen, au Pays de Galles, que s'est terminée l'enquête devant mener à l'arrestation de deux adolescents accusés d'avoir subtilisé les données de 26 000 cartes de crédit à partir de neuf sites Web marchands situés aux États-Unis, au Canada, en Thaïlande, au Japon et au Royaume-Uni.  «Je savais que c'était le FBI» a déclaré un des deux jeunes accusés, «car il parlait avec un accent américain et portait un trench-coat».  L'arrivée de l'homme, accompagné de huit policiers locaux et d'un camion anti-émeute n'était évidemment pas passée inaperçue dans la localité de 550 habitants.

L'affaire remonte à environ deux mois alors qu'un des deux jeunes hommes arrêtés avait publié sur une page Web sous le pseudonyme «Curador» (le gardien) un millier de numéros de cartes de crédit.  «Et mes salutations à mon ami Bill Gates» pouvait-on lire sur cette page, «après tout, il doit y avoir du bon dans un type qui vend des produits aussi transparents que les serveurs SQL».  Incidemment, on a découvert que l'hébergement de la page Web avait été défrayé avec un numéro de carte de crédit volé.

Le jeune homme s'était vanté, sur une liste de discussion consacrée au piratage, de disposer de plus de 5 000 numéros de cartes de crédit, dont un appartenant à Bill Gates, et de vouloir les diffuser par blocs de mille.  Une plainte logée au service d'hébergement de la page Web avait suffi à faire retirer la page.  Mais c'est alors que l'enquête pour trouver le responsable se mit en branle.

Les autorités se montrent discrètes sur la façon dont l'enquête a été menée.  La police fédérale américaine (FBI) a souligné l'appui apporté par la Gendarmerie royale du Canada qui, à son tour, remercie de son étroite collaboration le secteur privé, nommément Chris Davis de la société HeXedit Network Security d'Ottawa.  Davis a déclaré au quotidien The Ottawa Citizen que les forces policières étaient mal outillées et manquaient d'effectifs pour lutter contre ce type de criminalité. 

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 France : identification volontaire des pages personnelles
«Déresponsabiliser les hébergeurs est la meilleure des choses, mais les transformer en gardes-chiourmes une inquiétante dérive vichyste.» C'est la réaction du juriste et éditeur du bulletin «Droit et Internet», Sébastien Canevet, à un article (43-6-4) adopté par l'Assemblée nationale française dans le cadre du projet de loi modifiant la loi sur la liberté de communication.  Les amendements déresponsabilisent les fournisseurs des contenus qu'ils hébergent, ce qui est déjà un pas dans le sens d'une logique longuement préconisée, mais rend obligatoire l'identification des auteurs diffusant des contenus autres que de la correspondance privée sur Internet. 

Dans le numéro 125 du bulletin «Droit et Internet», Canevet écrit :  «Je ne doute pas un instant des bonnes intentions du législateur, exprimées par Madame Trautmann, qui affirme qu'il ne s'agit pas d'obliger les hébergeurs à vérifier les éléments d'identification fournis par leurs abonnés.  Mais cette louable déclaration ne se retrouve absolument pas dans ce texte.  [...] S'il est légitime d'organiser l'identification des auteurs de comportements illicites, cet amendement va beaucoup trop loin en imposant cette obligation de s'identifier avant de pouvoir exercer ce droit fondamental qu'est la liberté d'expression.»

Au sujet du même amendement, l'Association des Fournisseurs d'Accès et de Services Internet (AFA) affirme que «L'enfer est pavé de bonnes intentions.» Ainsi, par voie de communiqué, l'AFA déclare que «La Ministre de la Culture a rappelé en séance de manière réaliste et très claire [...] que la proposition du gouvernement ne visait pas à obliger les hébergeurs à vérifier l'identification communiquée par leurs abonnés, ni à s'assurer de la mise en ligne de leur identification sur leur page personnelle.  Mais les principes énoncés par la Ministre ne figurent pas dans le texte de la loi, ce qui laisse donc planer la plus grande incertitude sur les obligations réelles de contrôle et de coupure des pages par les hébergeurs.»

Il existerait donc un flou juridique qui pourrait mener, selon l'AFA, à un exode des utilisateurs de services d'hébergement chez des prestataires étrangers, en Europe ou ailleurs.  De poursuivre l'AFA, «[...] le résultat sera exactement contraire à celui souhaité en commun par le législateur, le gouvernement français, l'industrie, les organisations à but non lucratif et tous les citoyens soucieux d'un espace de communication respectueux des valeurs de liberté d'expression et de respect d'autrui.»

Valentin Lacambre, responsable du service Altern.Org (affaires Estelle Hallyday, RATP, etc.) et de nouveau aux prises avec la Justice (affaire Calimero.Org), estime que cette loi impose des conditions presque impossibles à respecter.  «Tous les sites Web pour lesquels l'identité de l'auteur n'est pas connue à priori sont légalement sous la responsabilité éditoriale de l'hébergeur.  Pour me dégager de cette responsabilité je devrais obtenir l'identité de chacun des 48 000 utilisateurs de altern.org.» Vaste programme.

Chez IRIS (Imaginons un réseau solidaire), on déclare que les nouvelles dispositions prévues suscitent à la fois «l'indignation et la colère des acteurs majeurs de l'Internet français» et on appelle à la mobilisation.

Reste à voir si les réticences exprimées de part et d'autre seront entendues par les législateurs, et la nouvelle ministre français de la Culture et des Communications, Madame Catherine Tasca, avant l'adoption finale des amendements.

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 Un milliard en 2005?
Y aura-t-il un milliard d'utilisateurs d'Internet en 2005? Il y a trois ans, au Forum québécois d'Internet (FQI) à Montréal, le chercheur français Christian Huitema prédisait un milliard d'utilisateurs pour l'an 2001.  À l'époque, nous avions commenté «comment prétendre qu'il y aura un milliard de personnes branchées en l'an 2001, alors que, selon la plupart des estimations, il y a aura à peine un milliard de personnes qui auront un accès assuré à l'eau potable?»

D'après une enquête d'envergure internationale (28 000 répondants dans 34 pays) de la maison de sondages Angus Reid, il y aurait de par le monde 300 millions d'utilisateurs d'Internet, chiffre qui devrait cette année voir une hausse de 150 millions.  La notion d'«utilisation» est définie comme au moins une occasion d'utilisation dans les 30 jours qui ont précédé le sondage, quel que soit le lieu ou les circonstances.  Pour mieux cerner cette notion d'utilisation qui porte souvent à confusion dans les résultats d'études ou de sondages, précisons qu'Angus Reid estime à 107 millions le nombre de personnes possédant un ordinateur aux États-Unis, et à 108 millions le nombre d'utilisateurs.  Seraient donc comptés les accès en milieu de travail, en établissement d'enseignement ou dans les lieux publics par des personnes ne possédant pas d'ordinateur, qu'il faudrait aussi pondérer en fonction du pourcentage de personnes possédant un ordinateur mais n'étant pas branchés à Internet.

Les États-Unis arrivent en tête de liste au chapitre du taux d'utilisation ainsi défini (59 %), suivi du Canada (56 %), de la Suède (53 %), de l'Australie (48 %), de la Suisse (45 %) et de la Finlande (44 %).  Fait à noter, les utilisateurs américains ne représentent plus que 39 % de l'ensemble des utilisateurs alors qu'ils ont longtemps et largement dominé à ce chapitre.

L'étude dépeint une situation complexe en Europe.  En chiffres absolus, l'Allemagne se classe au troisième rang mondial pour le nombre d'utilisateurs (18 millions) et le Royaume-Uni en quatrième place (14 millions).  En revanche, on constate d'importants écarts sur le taux de pénétration entre les États du nord (Finlande, Suède, Pays-Bas) et ceux du sud et de l'est de l'Europe où tant les ventes d'ordinateurs que l'accès Internet semblent avoir plafonné.

Mais le véritable catalyseur de l'accès Internet résiderait dans les dispositifs d'accès sans fil selon le Dr Angus Reid, président et fondateur de la maison de sondages.  «On tend à présumer que le modèle nord-américain d'accès au Web à partir d'un ordinateur au foyer constitue l'unique voie de croissance.  Mais le modèle "eurasien" d'accès grâce aux cellulaires et autres dispositifs sans fil, ainsi que les cybercafés et les bornes dans les lieux publics, doivent jouer un rôle plus important.»

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 Sites haineux
Le Centre Simon Wiesenthal annonçait le mois dernier le lancement d'une campagne d'intérêt public dénonçant les sites Web à caractère haineux.  Le slogan : «Lors de l'attentat à la bombe de Oklahoma City, il y avait un site à caractère haineux sur le Web.  Maintenant, il y en a environ 2 100.» Le chiffre frappe.  Ailleurs, dans son rapport annuel «Digital Hate 2000», le Centre estime à 1 400 le nombre de sites Web à faire problème.  On s'interroge, à bon droit, sur la méthodologie derrière l'avancée de ces chiffres, la répartition par langues, par origine géographique, etc.  Le Centre Simon Wiesenthal a décliné notre invitation à fournir des précisions à ce sujet.

Le 19 avril 1995, un engin explosif de très forte puissance dévastait l'édifice Murrah situé au centre ville de Oklahoma City causant 168 morts et des centaines de blessés.

Remettons les choses en perspective.  En avril 1995, Netscape diffusait la version 1.1 de son logiciel fureteur (l'Internet Explorer de Microsoft était encore, manière de parler, sur les planches à dessin).  L'index du moteur de recherche le plus efficace à l'époque, Lycos, contenait 3,6 millions de pages.  Le Web ne représentait que 20 % du volume d'échange de données (3,5 tera-octets en avril 1995) sur la principale dorsale du réseau en place à l'époque, la National Science Foundation Network, NSFNET. 

Début 2000, le portrait d'Internet est bien différent.  On recense un milliard de documents/pages sur 6,4 millions de serveurs.  Il y a, à l'échelle du globe, 275 millions de personnes branchées à Internet (dont la moitié au Canada et aux États-Unis).  Un site à fort achalandage peut, à lui seul, servir bien plus de 3,4 tera-octets par mois. 

Soumettons que le déploiement tout azimut de la technologie réseau, l'augmentation exponentielle du nombre de personnes branchées, la simplification des méthodes favorisant la diffusion de contenus, la convivialité des logiciels requis, et une foule d'autres facteurs peuvent relativiser l'accroissement du nombre de sites à caractère discutable.

Notre propos n'est pas de diminuer l'importance du phénomène des sites Web à caractère haineux.  Cependant, toute campagne visant à sensibiliser le public, branché ou non, au problème des sites Web diffusant de la propagande haineuse gagnerait en crédibilité en dévoilant la méthodologie utilisée pour soutenir ses informations.

Aux États-Unis, le Southern Poverty Law Center nous offre une autre perspective.  Dans son rapport annuel pour l'année 1999, «The Year in Hate», la SPLC constate une augmentation (de 254 à 305) du nombre de sites Web à caractère haineux, mais une diminution de 15 % (de 537 à 457) du nombre de groupes racistes ou autres opérant sur le territoire américain.  Le SPLC explique le phénomène de la manière suivante : les groupes racistes et suprémacistes organisés seraient en déclin; certains individus se retranchent sur le Web pour accroître la portée de leur propagande.  Le militantisme de particuliers (et non de groupes) serait donc un facteur de l'augmentation de sites Web à caractère haineux, ce qui accréditerait la thèse de la convivialité technologique.

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 Beau détour
Sur f-45.com, la galerie de Christophe Casgrain, fervent adepte du grand format.

Et sur ce, nous vous souhaitons à tous et toutes une excellente semaine.

Écrire à Jean-Pierre Cloutier


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